Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/152

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de fondement véridique : la volonté de vaincre non seulement ne s’était accrue ni dans le peuple, ni dans l’armée, mais se trouvait, au contraire, sensiblement diminuée, en raison de la lassitude et de l’affaiblissement du sentiment patriotique d’une part, et, d’autre part, à la suite de l’activité très intense déployée par la coalition baroque entre les représentants des tendances extrémistes de la démocratie révolutionnaire russe et l’état-major allemand, coalition maintenue par des liens invisibles, mais sensibles, d’ordre psychologique et réel. Je reviendrai plus tard sur cette question… Ici, je me bornerai à constater que l’œuvre de destruction s’inspirant du programme zimmerwaldien et se proposant pour but la cessation de la guerre, avait commencé bien avant la révolution et que son foyer se trouvait tant à l’intérieur qu’en dehors du pays.

Pour tranquilliser les organes militants de la démocratie révolutionnaire, le Gouvernement Provisoire proclamait des formules nébuleuses et ternes sur les buts et les objectifs de la guerre, mais il ne gênait nullement le Grand Quartier quant au choix des moyens stratégiques pour atteindre ces buts. C’est pourquoi nous avions à résoudre la question de l’offensive indépendamment des tendances de la pensée politique du moment.

Il n’y avait qu’une seule solution déterminée et nette, qui ne pouvait susciter aucune divergence de vues parmi le commandement. Cette solution était la suivante :

Infliger une défaite aux armées ennemies en agissant en plein accord avec les Alliés. Sinon, la débâcle du pays était inéluctable.

Cependant, une pareille solution demandait une vaste offensive sans laquelle non seulement il était impossible de remporter la victoire, mais la guerre désastreuse se trouvait prolongée indéfiniment. Les organes responsables de la démocratie, dont la plupart professaient des idées défaitistes, cherchaient à les inoculer aux masses. Les milieux socialistes modérés eux-mêmes n’étaient pas tout à fait libres de ces tendances. La masse des soldats ne comprenait rien à la formule zimmerwaldienne, mais celle-ci justifiait en quelque sorte l’instinct de conservation ou, vulgairement parlé, « le souci de sa peau ». Aussi, l’idée d’une offensive ne pouvait-elle pas être très populaire dans l’armée. La démoralisation parmi les troupes s’accentuait de plus en plus et non seulement on ne pouvait être certain de la ténacité pendant l’offensive, mais on était réduit à se demander si l’ordre serait exécuté, si l’on réussirait à mettre l’armée en branle… L’immense front russe tenait encore… par la force d’inertie et en imposait à l’ennemi, qui ignorait autant que nous-mêmes le degré de force latente que nos armées avaient encore conservée. Et si l’offensive faisait apparaître notre impuissance ?…

Tels étaient les arguments contre l’offensive. Mais beaucoup de motifs plus graves commandaient impérieusement une autre décision. Les puissances centrales étaient arrivées à un épuisement