Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/343

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n’était une institution vraiment militaire, faisant corps avec l’armée (pour son bien ou pour son mal). Ce n’était que l’organe de différents partis. Il avait introduit la politique sur le front, et il s’en donnait à cœur joie, ce Comité qui se composait de toutes les fractions des partis socialistes. Il faisait une propagande effrénée, organisait des congrès où les représentants des troupes étaient « travaillés » par tous les groupes socialistes, par ceux aussi, naturellement, qui témoignaient le plus d’hostilité au gouvernement. J’essayai d’enrayer leur action : les opérations stratégiques qui se préparaient, le pénible moment de transition que nous traversions m’y avaient incité ; le commissaire Jordansky m’opposa une résistance acharnée. Et cependant le Comité s’immisçait inlassablement dans tous les domaines militaires, semant la confusion, excitant la défiance à l’égard des chefs.

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À Pétrograd et à Mohilev, les événements se succédaient — nous n’avions pour nous renseigner là-dessus que les articles des journaux, les on-dit et les potins.

Le « programme » ne venait toujours pas. Les espoirs que l’on avait fondés sur la conférence d’État de Moscou ([1]) s’écoulèrent : elle ne modifia en rien la politique militaire ni celle du gouvernement. Bien au contraire, elle mit en pleine lumière l’irréconciliable opposition de la démocratie révolutionnaire et de la bourgeoisie libérale, des chefs militaires et des représentants des soldats.

Mais si la conférence de Moscou fut sans résultats pratiques, elle dévoila entièrement les dispositions des compétiteurs, des gouvernants, des dirigeants. Ils reconnurent tous le danger mortel qui menaçait le pays. La Société était ébranlée ; la vie économique, dans toutes ses manifestations, s’effondrait… Les deux partis en présence se reprochèrent furieusement leur égoïsme : chaque classe ne visait que ses intérêts particuliers. Mais ce qui fut significatif et singulier au cours de ces débats, c’est que les questions le plus directement liées à la lutte des classes, la question ouvrière, la question agraire, ne provoquèrent que de simples dissentiments ; elles ne poussèrent pas l’assemblée à se diviser, passionnément, dans un élan de haine indomptable. Quand Plekhanov, le vieux leader socialiste-démocrate, accueilli par l’approbation générale, se tourna vers la droite pour lui demander des

  1. Cette conférence se réunit le 14 août 1917. On y avait convoqué des représentants des municipalités autonomes des zemstvos et des villes, des organisations sociales associées, des coopératives, des comités de députés ouvriers et soldats des Doumas d’Empire, des groupes commerçants et industriels, des associations professionnelles d’ouvriers, des sociétés savantes, des travailleurs intellectuels, des organisations nationales, militaires et autres.