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Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/28

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VII

WILNA

IL faut dire cependant que le départ de ces maraudeurs était bien plutôt un avantage qu’un désastre. C’étaient pour la plupart des ennemis de la France, surtout des Italiens, des Espagnols et des Portugais, qu’on avait enrôlés de force et qui s’étaient promis de nous quitter à la première occasion.

En attendant, nous avancions toujours, sans rencontrer la moindre opposition de la part de l’armée russe.

Napoléon, qui avait trop compté sur les provisions de l’ennemi, fut forcé d’organiser des magasins à Wilna, où nous ne trouvâmes pas même une croûte de pain.

Il avait espéré d’abord que Barclay de Tollay défendrait cette ville et nous livrerait bataille. Mais le général en chef des armées russes, fidèle à son programme qui devait nous être si funeste, mit le feu à ses magasins et fit sauter le pont sur la Wilna, aussitôt que notre approche lui fut signalée.

L’empereur, après avoir donné ordre à Murat de se lancer à la poursuite des Russes, fit construire un autre pont et des magasins ; il établit aussi des ambulances.

Ces dernières surtout répondaient à un besoin pressant. Vers la fin du mois de juin, il avait tout à coup commencé à pleuvoir et le mauvais temps dura plusieurs jours. Après une série de journées presque brûlantes, nous fumes brusquement gratifiés d’un froid humide et pénétrant, plus désagréable et surtout plus malsain que le froid sec et relativement bienfaisant de l’hiver.

Le nombre des traînards avait grossi continuellement à chacune des pénibles étapes entre le Niémen et Wilna, et, pendant les dix-sept à dix-huit jours que nous passâmes dans cette ville, nous vîmes arriver par milliers des malheureux compagnons d’armes qui s’étaient traînés le long des chemins boueux et ravinés, et n’atteignirent la ville que pour entrer dans les hôpitaux et les ambulances.

En attendant les vivres qu’il avait fait demander à la hâte et qui devaient arriver par eau, Napoléon s’occupa de l’organisation de différents services. Il fit même fortifier la ville et y établit une garnison assez nombreuse.

Nous perdîmes ainsi beaucoup de temps. La faim commençait à nous torturer. On payait des sommes folles pour un morceau de biscuit ou un peu de farine.