Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/315

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que leurs devanciers au culte de l’individualité, plus tenaces peut-être parce qu’ils auront à combattre pour leur culte et à refouler le courant hostile des générations qui les précèdent immédiatement. Qui s’opposerait à l’essor de 1 individualité ? peut-être nos devanciers d’hier. La jeunesse n’a pas le triste honneur d’avoir inventé ce fléau. Veut-elle en dégager sa complicité ? c’est le secret de l’avenir.

Songez que l’abdication du moi produit à elle seule des âmes incapables d’aimer, closes aux ambitions généreuses, ouvertes aux malsaines somnolences, insensibles aux aventures de la liberté, dénuées d’esprit public et faciles à l’indifférence. Ce ne sont que les formes diverses d’un mal unique. Supprimez l’énergie de l’individu, et, par exemple, vous amoindrirez l’amour de manière à le rendre méconnaissable. L’amour est double ; il se réduit à deux termes : passion ou devoir. Qu’on veuille poursuivre la passion, il faut s’y offrir avec une vaillance et une intrépidité qui s’étendraient bientôt à toutes les délibérations de la vie. Il faut, pour aimer contre tous les obstacles, être, selon la belle parole du Psalmiste, « plus fort que les dieux et la mort. » Un homme qui saurait aimer ainsi saurait lutter et vaincre. Notre génération ne soupçonne pas cette toute-puissance du sentiment qui doubla les énergies des héros de la Révolution ; elle ne sait pas assez que tout se rejoint dans le cœur de l’homme par des fils mystérieux, et que l’indignité des préférences amoureuses ne peut qu’amoindrir la dignité des opinions. Ici nous répéterions volontiers avec Pascal :