Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/150

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de l’art. Il ne pouvait pas oublier sa personnalité, ni la contenir devant n’importe quel spectacle et n’importe quel rêve extérieur. Elle débordait de lui en illuminations ardentes sur tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il, touchait, tout ce qu’il sentait. Aussi ne s’était-il pas absorbé dans la nature. Il avait absorbé la nature en lui ; il l’avait forcée à s’assouplir, à se mouler aux formes de sa pensée, à le suivre dans ses envolées, à subir même ses déformations si caractéristiques. Van Gogh a eu, à un degré rare, ce par quoi un homme se différencie d’un autre : le style. Dans une foule de tableaux, mêlés les uns aux autres, l’œil, d’un seul clin, sûrement, reconnaît ceux de Vincent Van Gogh, comme il reconnaît ceux de Corot, de Manet, de Degas, de Monet, de Monticelli, parce qu’ils ont un génie propre qui ne peut être autre, et qui est le style, c’est-à-dire l’affirmation de la personnalité. Et tout, sous le pinceau de ce créateur étrange et puissant, s’anime d’une vie étrange, indépendante de celle des choses, qu’il peint, et qui est en lui et qui est lui.

Il se dépense tout entier au profit des arbres, des ciels, des fleurs, des champs, qu’il gonfle de la surprenante sève de son être. Ces formes se multiplient, s’échevèlent, se tordent, et jusque dans la folie admirable de ces ciels où les astres ivres tournoient et chancellent, où les étoiles s’allongent en queues de comètes débraillées; jusque dans le