Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/163

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Camille Pissarro et Claude Monet. Quoi qu'on dise et ergote, c'est d'eux que date, pour les peintres, cette révolution dans l'art de peindre, pour le public intelligent — mais existe-t-il un tel public ? – cette révolution dans l'art de voir.

Nous voyons mal la nature, cela n'est pas un paradoxe. Nous l'entrevoyons, opaque et lourde, à travers les tableaux de musée, c'est-à-dire à travers les couleurs ternies, noircies, saurées, les fuligineuses poussières, les vernis encrassés, ces croûtes adventices accumulées sur les chefs-d'œuvre vénérables par la vigilance des administrations et l'ironie des siècles. Aussi, devant cet art tout neuf, qui nous restituait la nature dans son rêve intégral de lumière, avons-nous éprouvé du malaise, presque du vertige, comme l'homme, longtemps enfermé dans la nuit d'une cave qui se retrouve tout d'un coup, dans l'espace, au soleil. Puis nos yeux, peu à peu, se sont habitués au choc de cette clarté lustrale, et nous nous sommes étonnés d'être restés aveugles à cet enchantement et de n'avoir pas compris plus tôt cette domination souveraine des couleurs et des formes, dans la nature et dans l'art, par la lumière.

Il ne faut pas se payer de mots. Nous admirons les œuvres anciennes, mais l'émotion qu'elles nous procurent n'a plus guère qu'une valeur de respect chronologique. Nos exigences sont devenues