Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/249

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leur existence et ils vont se livrer au roi d'Angleterre. Le monument de M. Rodin, ce n'est pas autre chose, dans un miracle d'exécution, que l'instant précis de cet héroïsme unanimement accepté par les six bourgeois, mais différemment ressenti, selon la différence des caractères qui agissent en ce drame. Les vieillards, décharnés par les longues privations d'un siège, redressent leurs tailles en attitudes hautaines, presque provocantes, ou se résignent noblement ; les jeunes se retournent vers la ville, laissant derrière eux, dans un suprême regard, le regret de cette vie à peine commencée et dont ils n'ont connu que les joies. Et derrière le groupe prêt à se mettre en marche, l'on entend réellement le bourdonnement de la foule qui encourage et pleure, les acclamations et les adieux. Nulle autre complication, nul souci du groupement scénique ; aucune allégorie, pas un attribut dont se servent les sculpteurs, pauvres d'idées, pour exprimer l'illusion de l'idée. Il n'y a que des attitudes, des expressions, des états d'âme. Les bourgeois partent. Et le drame vous secoue de la nuque aux talons.

Il me tarde de voir, en sa place choisie, ce monument incomparable, car la sculpture de M. Auguste Rodin a ceci de précieux que, les contours en étant savamment atmosphérés, elle double de beauté sous le ciel et dans la pleine lumière d'une place publique. J'espère aussi que la municipalité