Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IX.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

2 Œuvres de Descartes. 38.39.

voy le Soleil, fi ie fens de la chaleur, iufqu'à cette heure i'ay iugé que ces fentimens procedoient de quelques chofes qui exiftent hors de moy; & enfin il me lemble que les Syrenes, les Hypogrifes & toutes les autres femblables Chimères font des fidions & inuentions de mon efprit. Mais aufli peut-eftre me puis-je perfuader que toutes ces idées font du genre de celles que i'apelle étrangères, & qui viennent de dehors, ou bien qu'elles font toutes nées auec moy, ou bien qu'elles ont toutes efté faites par moy ; car ie n'ay point encore clairement découuert leur véritable origine. Et ce que i'ay princi- palement à faire en cet endroit, eft de confiderer, touchant celles qui 39 me femblent venir de quelques objets qui font hors de | moy, quelles font les raifons qui m'obligent à les croire femblables à ces objets.

La première de ces raifons eft qu'il me femble que cela m'efl en- feigné par la nature ; & la féconde, que l'expérimente en moy-mefme que ces idées ne dépendent point de ma volonté ; car fouuent elles fe prefentent à moy malgré moy, comme maintenant, foit que ie le veuille, foit que ie ne le veuille pas, ie fens de la chaleur, & pour cette caufe ie me perfuade que ce fentiment ou bien cette idée de la chaleur eft produite en moy par vne chofe différente de moy, à fçauoir par la chaleur du feu auprès duquel ie me rencontre. Et ie ne voy rien qui me femble plus raifonnable, que de iuger que cette chofe étrangère enuoye & imprime en moy fa reffemblance pluftoft qu'aucune autre chofe.

Maintenant il faut que ie voye fi ces raifons font alTez fortes & conuaincantes. Quand ie dis qu'il me femble que cela m'eft en- feigné par la nature, i'entens feulement par ce mot de nature vne certaine inclination qui me porte à croire cette chofe, & non pas vne lumière naturelle qui me face connoiftre qu'elle eft vraye. Or ces deux chofes différent beaucoup entr'elles; car ie ne fçaurois rien reuoquer en doute de ce que la lumière naturelle me fait voir eftre vray, ainfi qu'elle m'a tantoft fait voir que, de ce que ie dou- tois, ie pouuois conclure que i'eftois. Et ie n'ay en moy aucune autre faculté, ou puiffance, pour diftinguer le vray du faux, qui me puiffe enfeigner que ce que cette lumière me monftre comme vray 40 ne l'eft pas, & à qui ie me | puiffe tant fier qu'à elle. | Mais, pour ce qui eft des inclinations qui me femblent auffi m'eftre naturelles, i'ay fouuent remarqué, lorfqu'il a efté queftion de faire choix entre les vertus & les vices, qu'elles ne m'ont pas moins porté au mal qu'au bien; c'eft pourquoy ie n'ay pas fujet de les fuiure non plus en ce qui regarde le vray & le faux.

�� �