Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IX.djvu/614

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��OEuvRES DE Descartes.

��& lu\ donnent en fuite diuerfes paffions. Sur vn mefme papier, auec la mefme plume, & la mefme ancre, en remuant tant foit peu le bout de la plume en certaine façon, vous tracez des lettres qui font ima- giner des combats, des tempeftes, ou des furies, à ceux qui les lifent, & qui les rendent indignez ou triftes; au lieu que, fi vous remuez la plume d'vne autre façon prefque femblable, la feule différence qui 470 fera en ce peu de viouue\ment leur peut donner des penfées toutes contraires, de paix, de repos, de douceur, & exciter en eux des paillons d'amour & de joye. Quelqu'vn refpondra peut-eftre que l'efcriture & les paroles ne reprefentent immédiatement à l'ame que la figure des lettres & leurs fons, en fuite de quoy elle, qui entend lafignification de ces paroles, excite en foy-mel"me les imaginations & pajjions qui s'y rapportent. Mais que dira-t'on du chatouillement & de la douleur ? Le feul mouuement dont vne efpée coupe quelque partie de noftre peau nous fait fentir de la douleur, /a7?s nous faire fçauoir pour cela quel ejl le mouuement ou la figure de cette efpée. Et il efï certain que l'idée que nous auons de cette douleur n'efl: pas moins différente du mouuement qui la caufe, ou de celuy de la partie de noftre corps que l'efpée coupe, que font les idées que nous auons des couleurs, des fons, des odeurs ou des gouits. C'eft pourquoy... on peut conclure que noftre ame eft de telle nature que les feuls mou- uemens de quelques corps peuuent auffi bien exciter en elle tous ces diuers fentimens, que celuy-d'vne efpée y excite de la douleur.

��igS. Qu'il n'y a rien dans les corps qui puiffe exciter en nous quelque fentiment, excepté le mouuement, la figure oufituation, & la grandeur de leurs parties.

Outre cela nous ne fçaurions remarquer aucune différence entre les nerfs, qui nous face juger que les vns puiflent apporter... au 471 cerueau quelque autre chofe que les autres, bien qu'ils \ caufent en l'ame d'autres fentimens, ny auflî qu'ils y apportent aucune chofe que les diuerfes façons dont ils font meus. Et l'expérience nous montre quelquefois Ires-clairement qne les feuls mouuemens excitent en nous non feulement du chatouillement & de la douleur, mais aufll des fons & de la lumière. Car, fi nous receuons quelque coup en l'œil aflez fort, en forte que le nerf optique en foit efbranlé, cela nous fait voir naille eftincelles de feu, qui ne lont point tou- tefois hors de noftre œil; & quand nous mettons le doigt vn peu auant en noftre oreille, nous oyons vn bourdonnement dont la caufe ne peut eftre attribuée qu'à l'agitation de l'air que nous y

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