Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IX.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

46 OEuvRES DE Descartes. 57-58,

67 con[noiffance & de la puilTance, qui s'y trouuant iointes la rendent plus ferme & plus efficace, foit à raifon de l'objet, d'autant qu'elle fe porte & s'eftend infiniment à plus de choies; elle ne me femble pas toutesfois plus grande, fi ie la confider'î formellement & pre- cifement en elle-melme. Car elle co.ififte feulement en ce que nous pouuons faire vne choie, ou ne la faire pas (c'efl à dire affirmer ou nier, pourfuiure ou fuir), ou pluftofl feulement en ce que, pour affirmer ou nier, pourfuiure ou fuir les chofes que l'entendement nous propofe, nous agifTons en telle forte que nous ne fentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne. Car, afin que ie fois libre, il n'ell pas necelfaire que ie fois indiffèrent à choifir l'vn ou l'autre des deux contraires; mais plutoft, d'autant plus que ie panche vers l'vn, foit que ie connoiffe euidemment que | le bien & le vray s'y rencontrent, foit que Dieu difpofe ainfi l'intérieur de ma penlee, d'autant plus librement l'en fais choix & ie l'embraffe. Et certes la grâce diuine & la connoilfance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l'augmentent pluftoft, & la fortifient. De façon que cette indifférence que ie fens, lorfque ie ne fuis point emporté vers vn collé plullofl que vers vn autre par le poids d'aucune raifon, eft le plus bas degré de la liberté, & fait plutofi: paroiftre vn défaut dans la connoiflance, qu'vne perfection dans la volonté ; car fi ie connoiffois toufiours clairement ce qui efl vray & ce qui efl: bon, ie

68 ne ferois iamais en peine | de délibérer quel iugement & quel choix ie deurois faire ; & ainfi ie ferois entièrement libre, fans iamais eftre indiffèrent.

De tout cecy ie reconnois que Tiy la puilTance de vouloir, la- quelle i'ay receuë de Dieu, n'efi: point d'elle-mefme la caufe de mes erreurs, car elle eft tres-ample & tres-parfaite en fon efpece ; ny auflTi la puiffance d'entendre ou de conceuoir : car ne conceuant rien que par le moyen de cette puilïance que Dieu m'a donnée pour conceuoir, fans doute que tout ce que ie conçoy, ie le conçoy comme il faut, & il n'efi: pas pofllble qu'en cela ie me trompe. D'où eft-ce donc que naiffent mes erreurs? C'eil: à fçauoir, de cela feul que, la volonté eflant beaucoup plus ample & plus étendue que l'entendement, ie ne la contiens pas dans les mefmes limites, mais que ie l'eflens auffi aux chofes que ie n'entens pas; aufquelles eflant de foy indifférente, elle s'égare fort aifement, & choifit le mal pour le bien, ou le faux pour le vray. Ce qui fait que ie me trompe & que ie pèche.

Par exemple, examinant ces iours paflez fi quelque chofe exiftoit dans le monde, & connoiflant que, de cela feul que i'examinois

�� �