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88-90. Méditations. — Sixième. 71

fentiment edant beaucoup plus fouuent excité par vnc caufe qui blelFe le pied, que par vne autre qui l'oit ailleurs, il eft bien plus raifonnable | qu'il porte à l'efprit la douleur | du pied que celle 112 d'aucune autre partie. Et quoy que la fecliereffe du gozier ne vienne pas toufiours, comme à l'ordinaire, de ce que le boire eft neceffaire pour la fanté du corps, mais quelquefois d'vne caufe toute contraire, comme expérimentent les hydropiques, toutesfois il efl: beaucoup mieux qu'elle trompe en ce rencontre-là, que fi, au contraire, elle trompoit toufiours lorfque le corps eft bien difpofé; & ainfi des autres.

Et certes cette confideration me fert beaucoup, non feulement pour reconnoiftre toutes les erreurs aufquelles ma nature eft fujette, mais auftî pour les euiter, ou pour les corriger plus facilement : car fçachant que tous mes fens mie fignifient plus ordinairement le vray que le faux, touchant les chofes qui regardent les commoditez ou incommoditez du corps, & pouuant prefque toufiours me feruir de plufieurs d'entre eux pour examiner vne mefme chofc, & outre cela, pouuant vfer de ma mémoire pour lier & ioindre les connoif- fances prefentes aux paffées, & de mon entendement qui a défia découuert toutes les caufes de mes erreurs, ie ne dois plus craindre déformais qu'il fe rencontre de la fauifeté dans les chofes qui me font le plus ordinairement reprefentées par mes fens. Et ie dois rejetter tous les doutes de ces iours partez, comme hyperboliques & ridicules, particulièrement cette incertitude fi générale touchant le fommeil, que ie ne pouuois diftinguer de la veille : car à prefent i'y rencontre vne tres-notable différence, en ce que no|ftre mémoire 113 ne peut iamais lier & ioindre nos fonges les vns aux autres & auec toute la fuitte de noftre vie, ainfi qu'elle a de couftume de ioindre les chofes qui nous arriuent eftant éueillés. Et, en effed, fi quel- qu'vn, lorfque ie veille, m'apparoiffoit tout foudain & difparoilToit de mefme, comme font les images que ie vov en dormant, en forte que ie ne puffe remarquer ny d'où il'viendroit, ny où il iroit, ce ne feroit pas fans raifon | que ie l'eftimerois vn fpeftre ou vn phan- tofme formé dans mon cerueau,& femblable à ceux qui s'y forment quand ie dors, pluftoft qu'vn vray homme. Mais lorfque i'aperçoy des chofes dont ie connois diftinélement & le lieu d'où elles viennent, & celuy où elles font, & le temps auquel elles m'apa- roiffent, & que, fans aucune interruption, ie puis lier le fentiment que l'en ay, auec la fuitte du refte de ma vie, ie fuis entièrement affeuré que ie les apperçoy en veillant, & non point dans le fommeil. Et ie ne dois en aucune façon douter de la vérité de ces chofes-Ià,

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