Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/24

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ceux meſme qui ſont les plus difficiles a contenter en toute autre choſe, n’ont point couſtume d’en deſirer plus qu’ils en ont. En quoy il n’eſt pas vrayſemblable que tous ſe trompent ; mais plutoſt cela teſmoigne que la puiſſance de bien iuger, & diſtinguer le vray d’auec le faux, qui eſt proprement ce qu’on nomme le bon ſens ou la raiſon, eſt naturellement eſgale en tous les hommes ; et ainſi que la diuerſité de nos opinions ne vient pas de ce que les vns ſont plus raiſonnables que les autres, mais ſeulement de ce que nous conduiſons nos penſées par diuerſes voyes, & ne conſiderons pas les meſmes choſes. Car ce n’eſt pas aſſez d’auoir l’eſprit bon, mais le principal eſt de l’appliquer bien. Les plus grandes ames ſont capables des plus grans vices, auſſy bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement, peuuent auancer beaucoup dauantage, s’ils ſuiuent touſiours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, & qui s’en eſloignent.

Pour moy, ie n’ay iamais preſumé que mon eſprit fuſt en rien plus parfait que ceux du commun ; meſme i’ay ſouuent ſouhaité d’auoir la penſée auſſy prompte, ou l’imagination auſſy nette & diſtincte, ou la memoire auſſy ample, ou auſſy preſente, que quelques autres. Et ie ne ſçache point de qualitez que celles cy, qui ſeruent a la perfection de l’eſprit : car pour la raiſon, ou le ſens, d’autant qu’elle eſt la ſeule choſe qui nous rend hommes, & nous diſtingue des beſtes, ie veux croyre qu’elle eſt toute entiere en vn chaſcun, & ſuiure en cecy l’opinion commune des Philoſophes, qui diſent qu’il n’y a du plus & du moins qu’entre les