Page:Descartes - Œuvres philosophiques (éd. Desrez), 1838.djvu/322

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comprise dans l’idée qu’elle a d’un être tout parfait elle doit conclure que cet être tout parfait est ou existe

15. Que la nécessité d’être n’est pas ainsi comprise en la notion que nous avons des autres choses, mais seulement le pouvoir d’être.

Elle pourra s’assurer encore mieux de la vérité de cette conclusion, si elle prend garde qu’elle n’a point en soi l’idée ou la notion d’aucune autre chose où elle puisse reconnaître une existence qui soit ainsi absolument nécessaire ; car de cela seul elle saura que l’idée d’un être tout parfait n’est point en elle par une fiction, comme celle qui représente une chimère, mais qu’au contraire, elle y est empreinte par une nature immuable et vraie, et qui doit nécessairement exister, parce qu’elle ne peut être conçue qu’avec une existence nécessaire. (32)

16. Que les préjugés empêchent que plusieurs ne connaissent clairement cette nécessité d’être qui est en Dieu.

Notre âme ou notre pensée n’aurait pas de peine à se persuader cette vérité si elle était libre de ses préjugés mais, d’autant que nous sommes accoutumés à distinguer en toutes les autres choses l’essence de l’existence, et que nous pouvons feindre à plaisir plusieurs idées de choses qui, peut-être, n’ont jamais été et qui ne seront peut-être jamais, lorsque nous n’élevons pas comme il faut notre esprit à la contemplation de cet être tout parfait, il se peut faire que nous doutions si l’idée que nous avons de lui n’est pas l’une de celles que nous feignons quand bon nous semble, ou qui sont possibles, encore que l’existence ne soit pas nécessairement comprise en leur nature.

17. Que, d’autant que nous concevons plus de perfection en une chose, d’autant devons-nous croire que sa cause doit aussi être plus parfaite.

De plus, lorsque nous faisons réflexion sur les diverses idées qui sont en nous, il est aisé d’apercevoir qu’il n’y a pas beaucoup de différence entre elles, en tant que nous les considérons simplement comme les dépendances de notre âme ou de notre pensée, mais qu’il y en a beaucoup en tant que l’une représente une chose, et l’autre une autre ; et même que leur cause doit être d’autant plus parfaite que ce qu’elles représentent de leur objet a plus de perfection. Car tout ainsi que lorsqu’on nous dit que quelqu’un a l’idée d’une machine où il y a beaucoup d’artifice, nous avons raison de nous enquérir comment il a pu avoir cette idée, à savoir, s’il a vu quelque part une telle machine faite par un autre, ou s’il a si bien appris la science des mécaniques, ou s’il est avantagé d’une telle vivacité d’esprit que de lui-même il ait pu l’inventer sans avoir rien vu de semblable ailleurs, à cause de tout l’artifice qui est représenté dans l’idée qu’a cet homme, ainsi que dans un tableau, doit être en sa première et principale cause, non pas seulement par imitation, mais en effet de la même sorte ou d’une façon encore plus éminente qu’il n’est représenté. (33)

18. Qu’on peut derechef démontrer par cela qu’il y a un Dieu.

De même, parce que nous trouvons en nous l’idée d’un Dieu, ou d’un être tout parfait, nous pouvons rechercher la cause qui fait que cette idée est en nous ; mais, après avoir considéré avec attention combien sont immenses les perfections qu’elle nous représente, nous sommes contraints d’avouer que nous ne saurions la tenir que d’un être très parfait, c’est-à-dire d’un Dieu qui est véritablement ou qui existe, parce qu’il est non seulement manifeste par la lumière naturelle que le néant ne peut être auteur de quoi que ce soit, et que le plus parfait ne saurait être une suite et une dépendance du moins parfait, mais aussi parce que nous voyons par le moyen de cette même lumière qu’il est impossible que nous ayons l’idée ou l’image de quoi que ce soit, s’il n’y a en nous ou ailleurs un original qui comprenne en effet toutes les perfections qui nous sont ainsi représentées : mais comme nous savons que nous sommes sujets à beaucoup de défauts, et que nous ne possédons pas ces extrêmes perfections dont nous avons l’idée, nous devons conclure qu’elles sont en quelque nature qui est différente de la nôtre, et en effet très parfaite, c’est-à-dire qui est Dieu, ou du moins qu’elles ont été autrefois en cette chose, et il suit de ce qu’elles étaient infinies qu’elles y sont encore.

19. Qu’encore que nous ne comprenions pas tout ce qui est en Dieu, il n’y a rien toutefois que nous ne connaissions si clairement comme ses perfections.

Je ne vois point en cela de difficulté pour ceux qui ont accoutumé leur esprit à la contemplation de la Divinité, et qui ont pris garde à ses perfections infinies : car encore que nous ne les comprenions pas, parce que la nature de l’infini est telle que des pensées finies ne le sauraient comprendre, nous les concevons néanmoins plus clairement et plus distinctement que les choses matérielles, à cause qu’étant plus simples et n’étant point limitées, ce que nous en concevons est beaucoup moins confus. Aussi il n’y a point de spéculation qui puisse plus aider à perfectionner notre entendement, et qui soit plus importante que celle-ci, d’autant que la considération d’un