Page:Deschamps, Émile - Œuvres complètes, t3, 1873.djvu/16

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ensemble, en détachent, avec intention, quelques fragments, qu’ils rendent monstrueux en les isolant, et la foule servile (servum pecus), qui ne voit que ce qu’on lui montre, crie et se moque sur parole, et se scandalise par obéissance; cela est sans doute plus facile que d’étudier et de sentir. C’est surtout lorsqu’un ouvrage se présente à la fois empreint de poésie et d’originalité que l’envie est impitoyable et la sottise imperturbable. La Divine Comédie, de Dante, la Jérusalem délivrée, le Paradis perdu, les tragédies de Shakspeare, le Cid, Athalie, et, de nos jours, les poëmes de lord Byron et les Martyrs de M. de Chateaubriand, ont été, à leur apparition, accueillis par une dédaigneuse indifférence ou par des sarcasmes amers. Des littérateurs d’un certain goût et d’une certaine instruction ont même dit d’assez bonnes choses contre ces magnifiques ouvrages. Qu’importe ? Si les opposants au génie étaient en force, ses défenseurs n’ont pas reculé ; il y a eu combat, et l’on sait à qui est demeurée la victoire. Mais quelle longue et triste guerre !

Vive un ouvrage élégamment médiocre pour prospérer… pendant quinze jours. Il se montre, chacun lui fait politesse : censure administrative, comités de lecture, comédiens, public payé et même payant, il ne contrarie et ne choque personne, il n’éveille ni l’envie ni la colère... ni le plaisir. Tant de gens préfèrent leur ancien ennui à une jouissance nouvelle ! Tant de prétendus amateurs ne demandent à la poésie qu’une espèce de ramage sans énergie et sans émotion, et se croient trop heureux si aucun accent mâle et imprévu, si aucun son inaccoutumé ne vient etfaroucher le sybaritisme de leurs oreilles !… Mais un grand malheur pour les productions vulgairement correctes, c’est que les hommes qui savent penser et parler n’en pensent rien et n’en parlent jamais : leur silence, c’est bientôt l’oubli.

Certes, le Cromwell de M. Victor Hugo, ainsi que les belles Odes de ce jeune poëte, ne brillera pas impunément à l’horizon littéraire. Ses nombreux admirateurs entendront nier son éclat, verront entraver sa marche