Page:Deschamps, Émile - Œuvres complètes, t5, 1874.djvu/180

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172 OEUVRES D’EMILE DESCHAMPS. Je vous obérai, sans crainte, aveuglément, Pour me garder intacte à mon fidèle amant! DOM LAURENCE. Eh bien, rentrez chez vous, prenez un air de joie, Acceptez ce Paris que l’hymen vous envoie, Cest mercredi, demain, — demain soir, ayez soin De fermer votre chambre, et qu’on s’en tienne loin. Emportez cette fiole, et vous la boirez toute, Quand vous serez au lit, sans en perdre une goutte. Dans vos veines, soudain, le breuvage glacé Se répandra, — le pouls, le cœur auront cessé; Nul souffle, ni moiteur n’attestera la vie ; La rose à votre teint, à vos lèvres ravie Les laissera — l’éclair qui fuit n’est pas si prompt — Pâles, comme la cendre, où s’abîme mon front; Un réseau terne et mat couvrira vos prunelles, Semblable au voile épais des ombres éternelles; Tout votre corps, privé de sève et refroidi. Sera tel qu’un cadavre, immobile et roidi... Et vous serez ainsi pour quarante-deux heures. Puis, reprenant votre âme aux célestes demeures. Vous vous réveillerez comme d’un frais sommeil! Jeudi, pourtant, Paris, devançant le sommeil Viendra des fleurs en main et la joie au visage... Il vous trouvera morte! — Alors, selon l’usage, Avec vos beaux atours, et le front découvert. Des bras vous porteront dans le sépulcre ouvert A vos aïeux, dormant sur leur couche de glace, Et les Capulets morts vous feront une place. Dans l’intervalle, avant votre réveil certain. Par mes lettres, instruit de tout votre destin, Roméo reviendra, furtif, et la nuit même. Vers son heureux exil conduire ce qu’il aime. Voilà l’expédient qui pourra vous sauver... Si quelque peur d’enfant ne vient pas l’entraver. JULIETTE, prenant la ûole. Donnez, oh ! donnez-moi ; ne parlez pas de crainte. Soutiens ma force, amour, c’est pour ta cause sainte! Elle sort précipitamment. Laurence l’accompagne. (Changement do décor.)