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M. Renan « tournait décidément trop au comique ». Alors on fit choix de M. Alexandre Dumas, qui est fameux, exercé dans la parole, indépendant, grave et religieux à l’occasion : M Dumas accepta.

En général, je me méfie un peu des hommes de théâtre abordant l’histoire littéraire et la haute esthétique. Je me rappelle comment M. Sardou nous révéla, le jour de sa réception, qu’il y avait trois tragiques grecs. Ces esprits toujours neufs et conquérants n’ont pas beaucoup de critique. Ils découvrent tout et s’émerveillent des moindres choses ; ils entrent dans la littérature comme une noce entre au Louvre. Mais M. Dumas n’est pas seulement un homme de théâtre ; il s’est proposé, selon son propre aveu, de raconter l’histoire sainte dans le langage du Petit Poucet[1] ». Je dirais qu’il est le premier moraliste d’aujourd’hui, s’il n’était en même temps le seul. Sa langue, quoique composite, est vigoureuse et belle. Il a des idées franches et un style’franc. Seulement, il a trop d’idées, et, comme l’une jaillit de l’autre, à l’infini, son éloquence est intarissable. Il avait composé, à la débridée, soixante-dix pages de discours pour répondre à M. Leconte dé Lisle. Tout le XIXe siècle y passait, sans omettre Béranger ni Alexandre Soumet, avec citations à l’appui. Il eût fallu quatre heures d’audience, ce dont personne ne se serait plaint, mais aussi quatre heures de parole, ce qui fatigue un peu. Alors M. Dumas a fait plus court, ou

  1. Préface de l’Étrangère.