Page:Desnoiresterres - La jeunesse de Voltaire.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce séjour on Prusse, près de Frédéric, qui est encore à éclairer dans bien des points, offre tout le charme, tout le mouvement, toutes les péripéties, tout le pathétique d’une conception dramatique. Mais c’est aussi la page la plus délicate, la plus difficile in aborder de cette vie si fertile en aspects attachants et scabreux. La leçon a été rude pour le philosophe, qui va demander asile et repos aux cantons helvétiques. Le repos, c’est ce qu’il devait le moins rencontrer en ce monde, par une raison, hélas ! qui lui est trop propre. En effet, bien des ennuis, des écarts de plume signaleront son passage dans cette Suisse qu’il veut civiliser à sa façon et que Rousseau l’accuse de vouloir corrompre. L’émotion, la passionne feront pas défaut là non plus, et ce ne sera point la monotonie, l’absence d’imprévu qui feront tomber le livre des mains. Cette Genève, qui le trouve trop remuant, trop mondain, il faudra bien l’abandonner à elle-même, à son génie dogmatique, austère, revêche presque, comme il convient à la ville de Calvin, mais ce ne sera pas sans lancer plus d’un javelot, plus d’un trait acéré. Nous touchons à la dernière étape. L’auteur de la Henriade, de Mérope, ne s’appelle plus que le patriarche de Ferney. C’est encore une carrière de vingt années, d’une activité qui ne s’éteindra qu’avec le souffle de ce vieillard plus qu’octogénaire. Et jusqu’au dernier jour, l’intérêt ne faiblit pas, il se soutient, nous dirons presque qu’il redouble, comme cela a lieu dans toute comédie bien faite. Mais quelle comédie ! quel roman !