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COMPLOT CONTRE LE P. LEJAY.

brité ! » eût dû indiquer au père Lejay qu’il faisait fausse route.

Duvernet prétend qu’il existait, d’ailleurs, entre le maître et l’écolier, des raisons de ne pas s’aimer. Lejay, avec le titre et les fonctions de professeur d’éloquence, avait aussi peu d’éloquence qu’il est possible. Arouet s’aperçut vite du défaut de la cuirasse, et n’eut garde de n’en pas profiter dans les discussions littéraires avec son régent, qui ne lui pardonna point de l’avoir humilié. Le père Lejay semble avoir été la bête d’aversion des élèves, qui luttaient d’invention pour lui jouer quelque méchant tour. Le marquis d’Argenson raconte que le duc de Boufflers et lui avaient tramé contre leur régent de rhétorique « une manière de révolte, » qui consistait à souffler par une sarbacane des pois au nez du bon père. Cette espièglerie fut traitée sur le pied d’un véritable attentat, et il fut décidé que les deux coupables passeraient par les verges. Notez que d’Argenson avait dix-sept ans (1711), et que le petit duc de Boufflers était alors gouverneur de Flandre en survivance et colonel du régiment de son nom. Le premier ne nous dit pas comment il esquiva le châtiment : peut-être Lejay crut-il devoir l’épargner au fils de celui à qui il avait dédié, en 1702, sa tragédie latine de Damoclès[1] ; quant à son complice, il le subit tout au long. Cette exécution eut du retentissement, bien qu’elle ne fût pas sans antécédents, même à l’égard de grands garçons de cet âge ; le maréchal de Boufflers porta plainte au roi et retira son fils qui, cruellement

  1. Alexis Pierron, Voltaire et ses maîtres (Didier, 1866), p. 12.