Page:Desnoiresterres - La jeunesse de Voltaire.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
LES PP. TOURNEMINE ET PORÉE.

soit dans le fond. Il ne m’en coûte point de me corriger… » Sans doute, Voltaire est peu sincère, quand il offre d’effacer ce qu’on peut trouver de répréhensible dans ses œuvres ; sans doute ces assurances n’étaient point à prendre au pied de la lettre, et le père Tournemine, tout le premier, en disant « qu’il voudrait pouvoir le brider[1], » formait un souhait qu’il n’était pas dans ses moyens d’accomplir. Mais ce sont au moins des marques de déférence qui prouvent qu’il tient à ne pas rompre avec ces directeurs affectueux et habiles de son enfance. Il sentait qu’ils n’eussent pu décemment continuer, sans ces garanties d’orthodoxie, un commerce d’amitié et de lettres avec un écrivain assez mal famé déjà, et il jugeait nécessaire de les mettre à l’aise avec leur conscience et leurs supérieurs, par des témoignages qu’ils pouvaient produire au besoin. Ce n’est pas de la fausseté, si l’on prend garde à l’époque où il écrit ; c’est de la prudence et de la courtoisie tout ensemble.

S’il s’était fait un ennemi du père Lejay, Voltaire n’avait rencontré, et il ne l’oublia jamais, qu’indulgence dans le père Porée, qui tenait la classe du matin ; car les deux régents de rhétorique alternaient chaque année : l’un professait l’éloquence le matin, l’autre la poésie le soir[2]. Ce dernier n’avait voulu voir que les dons d’une nature prodigue qu’il fallait façonner et diriger, et prenait plaisir à développer cette intelligence pleine de promesses. Malgré sa turbulence, le

  1. Jordan, Histoire d’un voyage littéraire fait en 1733, en France, en Angleterre, et en Hollande (La Haye, 1735), p. 68.
  2. Président Hénault, Mémoires (Paris. 1855), p. 8.