Page:Desnoiresterres - La jeunesse de Voltaire.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
AROUET EN HOLLANDE.

a professé la rhétorique en leur collège de Caen, en l’an 1713[1]. » À ce compte, le séjour d’Arouet dans la capitale de la basse Normandie n’alla pas au delà de quelques mois, puisque nous le voyons faisant déjà des siennes, à la Haye, à la fin de cette même année.

Le spectacle tout nouveau d’un pays qui ne ressemblait à rien de ce qu’il avait vu jusqu’ici, des habitudes, des mœurs, des modes si différentes des nôtres, durent impressionner assez cet esprit observateur et curieux pour lui faire oublier ce qu’il avait été forcé de quitter. Bien que le personnel de l’ambassade fût nombreux, il ne s’était pas figuré que sa condition de page du ministre lui interdît toutes relations au dehors. Les réfugiés abondaient en Hollande, et un Français n’était pas en peine de trouver à la Haye à qui parler. Il y avait alors, établie dans cette ville, une Française qui s’était expatriée, pour cause de religion, avec ses deux filles qu’elle avait enlevées à leur père. Son mari, M. Dunoyer, après avoir été successivement capitaine dans les régiments de Normandie et de Toulouse, puis conseiller de la ville de Nîmes, puis député des états, auprès desquels il avait été chargé de la part du roi de porter les cahiers du Languedoc, enfin grand maître des eaux et forêts de France dans la même province, avait vu toute cette prospérité l’abandonner, grâce aux folies de sa femme et à ses propres dissipations. Celle-ci, nature emportée, peu scrupuleuse, ne regardant pas au choix des moyens pour subvenir à ses besoins ou contenter ses fantaisies,

  1. Journal d’un bourgeois de Caen, 1652-1733 (Caen, 1848), p. 172.