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selon que la passion et les intérêts d’une vanité féroce le pousseront dans une direction ou dans une autre. Quant aux recommandations elles-mêmes, elles sont curieuses ; l’argumentation est des plus habiles et ne laisse pas au prélat le moindre prétexte pour refuser son concours imploré à de tels titres. Le dernier membre de phrase est d’un comique sérieux, que Molière eût été heureux de rencontrer sur sa route, et qu’il eût ramassé : « Ne manquez pas à le nommer Monseigneur… »

En posant le pied dans Paris, Arouet apprend qu’il y avait été devancé par une lettre foudroyante du marquis de Châteauneuf « telle qu’il n’en écrirait point contre un scélérat. » Ces derniers griefs comblaient la mesure ; son père, furieux, sollicita et obtint ime lettre de cachet. Il fallut se blottir dans quelque coin en attendant que le premier courroux fût apaisé. Les amis s’y employèrent.

Je n’ose me montrer : j’ai fait parler à mon père. Tout ce qu’on a pu obtenir de lui a été de me faire embarquer pour les îles ; mais on n’a pu le faire changer de résolution sur son testament qu’il a fait, dans lequel il me déshérite. Ce n’est pas tout : depuis plus de trois semaines[1], je n’ai point reçu de vos nouvelles, je ne sais si vous vivez, et si vous ne vivez point bien malheureusement ; je crains que vous ne m’ayez écrit à l’adresse de mon père, et que votre lettre n’ait été ouverte par lui… Vous voyez à présent que je suis dans le comble du malheur, et qu’il est absolument impossible d’être plus malheureux, à moins que d’être abandonné de vous. Vous voyez, d’un autre côté, qu’il ne tient plus qu’à vous d’être heureuse ; vous n’avez plus qu’un pas à faire : partez dès que vous aurez reçu les ordres de mon-

  1. Voltaire, Œuvres complètes (Beuchot), t. LI, p. 22, 23, Paris, ce jeudi matin 28 décembre.