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  DERNIÈRES AMOURS. 119



IIII.


D’vne douleur poignante ayant l’ame bleſſee,
Ie ne puis en mon lict d’allegeance eſprouuer,
Ie me tourne & retourne, & ne ſçaurois trouuer
De place qui ne ſoit de chardons heriſſee.

Ne verray-ie iamais que la nuict soit paſſee ?
Ie ſuis au mois de Iuin, & penſe eſtre en hyuer :
Leue toy belle Aurore, & fais auſſi leuer
Non le Soleil du Ciel, mais cil de ma penſee.

Ah ! que dy-ie vne nuict ? tout vn ſiecle eſt paßé
Depuis que ſon bel œil ſans clairté m’a laißé :
Non qu’on ne parle plus de ſaiſons ny d’annees,

Ie laisse au Philosophe & aux gens de loiſir
A meſurer le temps par mois & par iournees,
Ie conte quant à moy le temps par le deſir.


V.


Vous n’aimez riẽ que vous, de vous meſme maiſtreſſe,
Toute perfection en vous ſeule admirant,
En vous voſtre deſir commence & va mourant,
Et l’Amour ſeulement par vous meſme vous bleſſe.

Franche & libre de ſoing voſtre belle ieuneſſe
D’vn œil cruel & beau mainte flamme tirant,
Brûle cent mille eſprits, qui voſtre aide implorant
N’eſprouuent que fierté, meſpris, haine & rudeſſe.

De n’aimer que vous meſme eſt en voſtre pouuoir,
Mais il n’eſt pas en vous de m’empeſcher d’auoir
Voſtre image en l’eſprit, l’aimer d’amour extréme :

Or l’Amour me rend voſtre, & ſi vous ne m’aimez,
Puiſque ie ſuis à vous, à tort vous preſumez,
Orgueilleuſe Beauté, de vous aimer vous meſme.