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  DERNIÈRES AMOURS. 147



XCII.


fi la loy des amours saintement nous assemble,
Avec un seul esprit nous faisant respirer,
L’outrage du malheur se peut-il endurer,
Qui si cruellement nous arrache d’ensemble ?

Je ne vous voy jamais, mon cœur, que je ne tremble,
Apprehendant l’effort qui nous doit separer :
Et n’ose bien souvent vos regards desirer,
Tant l’eclipse qui suit tenebreuse me semble.

Toutesfois quand les corps n’ont moyen de se voir,
L’ame pourtant n’est serve et peut, à son vouloir.
Voleter invisible où la guident ses flames.

Chassons donc nostre angoisse, ô seul bien de mes yeux !
Et, vivans desormais comme l’on vit aux cieux,
Sans plus penser aux corps faisons l’amour des ames.


XCIII.


Quel martyre assez fort, quelle gesne inconnuë,
Est égale au tourment d’un cœur bien allumé,
Qui, se trouvant prochain de l’objet mieux aimé,
Se defend par raison la parole et la veuë ?

Le desir, qui voit lors sa vigueur retenuë,
Par le contraire effort devient plus enflammé ;
De tranchantes douleurs l’esprit est entamé,
L’ame souspire et crie, en servage tenuë.

C’est un chaos nouveau, meslant confusément
Avec mille glaçons le plus chaud element,
Et le trop grand respect avec l’impatience.

o nompareille force en nompareil esmoy,
Allez vous-en mon tout, eloignez-vous de moy :
Mon tourment sera moindre en plus lointaine absence.