Page:Desportes - Premières œuvres (éd. 1600) III - Cleonice. Dernières Amours.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
  CLEONICE,  



X.


Trois fois les Xanthiens au feu de leur patrie
Se ſont enſeuelis auec la liberté :
Et le vaillant Caton d’vn eſprit indonté
Afin de mourir libre, eſt cruel à ſa vie,

L’eſpouſe de Syphax du malheur pourſuiuie
Fuit en s’empoiſonnant le triomphe appreſté :
Et d’vn cœur auſſi grand comme eſtoit ſa beauté,
Mourut l’Egyptienne apres eſtre aſſeruie.

Que pensé-ie donc faire, ô chetif que ie ſuis !
Chargé de mille fers, mais plus chargé d’ennuis,
Qui ſens mon ame libre eſclaue eſtre rendue ?

Il faut il faut mourir, ie ſuis trop attendant,
Si ce n’eſt en Caton ma liberté gardant,
Soit comme Cleopatre apres l’auoir perdue.


XI.


Si trop en vous ſeruant, ô ma mort bien aimee,
L’ardant feu de mon cœur eclaire & ſe fait voir,
Si lon dit qu’à ſon gré voſtre œil me fait mouuoir,
Et que de vous ſans plus ma vie eſt animee :

Vne ſi pure ardeur qui n’ha point de fumee
Deuant tous peut reluire & monſtrer ſon pouuoir,
Tant de vers, qui ſi loin mes douleurs font ſçauoir,
Sont des arcs que ie dreſſe à voſtre renommee.

Iadis entre les Grecs quand l’honneur y viuoit,
Le vaincueur des vaincus maint trophee eleuois,
Mais d’étoffe legere & de peu de duree :

Mais moy que ma deffaite a rendu glorieux,
Bien que ie ſoy’ vaincu i’eleue en diuers lieux
Maint trophee immortel pour vous rendre honoree.