Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/15

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servant l’arrière-pensée de satisfaire un jour par les pénitences de la retraite le monde scandalisé. Avec Rousseau, toute hypocrisie coule à fond. L’homme se montre nu ; il se plaît dans l’état de nature, et ses instincts l’emportent fougueusement. La Nouvelle Héloïse a été le livre du siècle, parce que le siècle s’y est trouvé tout entier, avec des aspirations et avec des ivresses autrefois inconnues et inavouées.

Puis, dans l’histoire de la pensée française, un furieux choc, la Révolution. Un temps d’arrêt. Les lettres sont étourdies par la commotion sociale.

Peu à peu, comme le malade au sortir d’une crise qui a suspendu la vie, on se remet à respirer, à penser, à écrire. Mais l’ancien monde a disparu ; le nouveau est encore dans le chaos des formations.


Rien n’est dans le grand jour et rien n’est dans la nuit[1].


Les esprits inquiets, partagés entre l’espoir et le doute, violemment ébranlés par le spectacle des grandes guerres, expriment leur incertitude el leur éblouissement comme on exprime toutes les choses vagues, par des chants.

Et c’est alors qu’éclôt la superbe génération lyrique. Enfantés entre deux batailles, élevés dans une féerie, les hommes nouveaux seront caractérisés par la fièvre, par une imagination grandiose qui leur fera voir le monde comme au travers d’une loupe grossissante.

  1. Victor Hugo. Chants du Crépuscule.