Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/314

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ractère indécis. Le poète se débat entre son éducation romantique et les velléités naturalistes de son tempérament. À l’instant où il s’engage, loin du drapeau de ses chefs, dans la mêlée contemporaine, le cor d’Hernani le rappelle en arrière. Assurément l’auteur des Humbles n’a conscience ni de sa vraie place dans notre littérature, ni de l’œuvre qui l’immortaliserait. Le tohu-bohu de ses derniers recueils est inexprimable. Les pièces s’étalent sans aucun souci de composition. Une ballade à M. de Ranville et un sonnet moyen-âge côtoient l’Enfant de la balle et des poèmes de circonstance. On exige de l’unité pour un roman ou pour un drame, mais non pour un volume de vers. Les fantaisies les plus dissemblables, une fois rimées, acquièrent le droit de se coudoyer sous une vague étiquette d’ensemble. Tendance très nuisible à l’œuvre. Le succès des Fleurs du mal est dû autant à l’harmonie du livre qu’aux vues si personnelles et si étranges de Charles Baudelaire. Au théâtre, M. François Coppée n’a pas retrouvé, l’inspiration heureuse du Passant. Ces succès de fraîcheur, de velouté, de grâce, ne se cueillent qu’au printemps. Le poète ne désespère pas cependant, il s’ingénie adonner à des costumes Louis XIV ou Renaissance un langage fleuri en alexandrins élégants. Mieux vaudrait encore rimer des ballades que de se condamner à ces perpétuels avortements. Le public ne mordra pas à l’hameçon, car le public, inconsciemment, a pris le goût du réel, d’un réel atténué, il est vrai, mitigé par l’habile M. Dumas fils ou par l’ingénieux M. Sardou, mais qui prépare les esprits à des vérités cruelles.[1]

  1. Le récent succès de M. Coppée, réactionnaire et, par conséquent, factice, ne modifie aucunement mon opinion. Toutes les vieilleries en cinq actes : antithèses de Ruy Blas, récit de Lucrèce Borgia, guitare de Marie Tudor, poignard et poison. Un