Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/321

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Voici le véritable point du débat. L’auteur doit-il tailler dans le vrai sans s’inquiéter du monde ? Doit-il, au contraire, se plier aux exigences de son public ? M. Sarcey va au théâtre pour s’amuser et veut qu’on l’amuse ; les écrivains naturalistes prétendent faire du drame comme du roman un procédé d’histoire sociale.

Si le roman est plus souple, n’abandonne pas le décor à un metteur en scène plus ou moins habile, l’action à des acteurs plus ou moins intelligents, si le roman fait son chemin lui-même, conquiert lentement les esprits, sans frapper inutilement à la porte des directeurs, sans avoir à vaincre d’un coup les préjugés du public, le drame, grâce à sa concentration, a une puissance plus immédiate, plus décisive. Chaque mot a dans la foule le retentissement d’un coup de clairon.

« Laissez le livre, prenez le théâtre : c’est le livre renversé. Le public vous tenait, vous tenez le public. Vous lui sautez aux oreilles, aux yeux, aux larmes, au cœur, au rire, aux sens. Vous avez devant vous une foule, une masse ; vous avez la chance qu’un peuple soit moins bête qu’un homme… Le livre, on le lit à jeun, quand il pleut, quand on attend, quand on tuerait des mouches pour tuer le temps ! La pièce vous empoigne, vous caresse, après un bon dîner, et la robe de votre maîtresse dans les jambes[1]… »

Malheureusement, les réalités sont loin d’être réjouissantes, et les bourgeois, pas plus que le critique, ne veulent être troublés dans leur digestion. Pourquoi rendre à ces braves gens le spectacle laid qu’ils ont eu sous les yeux toute la journée ? Ne vaut-il pas mieux les en distraire ? L’auteur dramatique équivaut au pres-

  1. Charles Demailly, p. 132.