Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/62

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Sous ce feutre, un large front bombé prenait la moitié d’une face puissante, coupée par des moustaches blondes et retombantes. Sa taille d’athlète, son air casseur et son exubérance lui donnaient une vague ressemblance avec le Vercingétorix de Millet.

Les colères de ce criard qui ne daignait jamais discuter posément et s’époumonnait en affirmations souvent heurtées et incohérentes, contrastaient avec la douceur de sa vie, sa patience au travail, le fanatisme de ses amitiés, et surtout avec les menus soins qu’il avait pour sa mère.

Dire d’un homme qu’il eut de amis nombreux et dévoués, c’est dire qu’il les méritait ; cette pierre de touche ne trompe pas. Du reste, de tous les amis de Flaubert, Louis Bouilhet eut seul sur les œuvres du maître une influence sensible. Très dogmatique et plein de partis pris, ennemi des phrases toutes faites et théoricien de l’art pour l’art, il avait un sens critique pénétrant, discutait pendant des heures sur une phrase, émondait la prose de Flaubert de ses enflures lyriques. Flaubert se défendait comme un beau diable, se fâchait tout rouge et traitait son ami de cuistre et de pédagogue. Bouilhet restait imperturbable : — Tu vas effacer cela, — disait-il, et l’auteur de Madame Bovary, vaincu, raturait en maugréant. C’est ainsi que Salammbô a été délivrée des et qui commençaient toutes les phrases et leur donnaient un insupportable ton épique. Flaubert était trop grisé de lyrisme pour s’apercevoir de cette monotonie. Une phrase bien faite, il n’y avait que ça. Il se fichait du reste. Pour triompher de ces axiomes, il ne fallait rien moins que sa confiance en Bouilhet. Pour Flaubert, Bouilhet n’était pas un poète lyrique de quelque originalité, mais un génie, méconnu du public.