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Page:Desrosiers - Commencements, 1939.djvu/149

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l’étude des langues indiennes

Après la criée du chef, les femmes secouent, le matin, les écorces des wigwams pour en faire tomber la neige et la glace ; elles les enroulent ensuite avec soin. On entasse le plus de bagage possible sur les traînes très longues et très étroites ; on ajuste le reste sur son dos. Hommes, femmes, enfants sont chargés comme des mulets. Puis on se met en marche. Comme on ne chasse point ce jour-là, on n’a absolument rien à se mettre sous la dent : « c’était pour nous un jour de jeûne aussi bien qu’un jour de travail ». Pour se rendre compte de la nature de cette marche, il n’y a qu’à se représenter la forêt canadienne, en hiver ; arbres pressés, broussailles épaisses, troncs renversés, cailloux et pierres de toutes les dimensions. « De vous dépeindre la difficulté des chemins, dit le père Le Jeune, je n’ai ni plume, ni pinceau qui le puisse faire. Il faut avoir vu cet objet pour le connaître et avoir goûté de cette viande pour en savoir le goût ; nous ne faisons que monter et descendre ». S’il neige avec abondance, s’il règne un grand froid, souffrances et fatigues deviennent bientôt intolérables ; par temps de dégel, on s’enfonce, les raquettes se chargent de neige et alourdissent les pieds : alors « nous ne faisons pas de longues traites », dit le missionnaire.

L’existence dans le campement ne comporte point de consolation. Bien vite, les avenues qui mènent aux wigwams sont parsemées d’immondices sans nom ; et les branches de sapin étendues à l’intérieur, pour recouvrir le sol et la neige, ressemblent à une litière à pourceaux.

Puis la fumée, cette fumée qui a failli rendre aveugle le père Dolbeau, assaille les habitants : « La fumée, dit le père Le Jeune, je vous confesse que c’est un martyre : elle me tuait… il fallait mettre la bouche contre terre pour pouvoir respirer… les yeux me cuisaient comme feu… ils me pleuraient ou distillaient comme un alambic… nous saisissait à la gorge, aux narines et aux yeux ». Pas d’autre recours que de sortir dehors au froid, et de rentrer quand on est transi.