Aller au contenu

Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dépensent toute somme qui peut leur revenir sur leurs gages de l’année. Disposé à entrer en conversation avec quiconque est désœuvré pour quelques heures, il se laisse entraîner sous le bras par le premier venu. Et il interroge, il écoute et il garde les renseignements pour lui.

Bientôt, il sait quel bourgeoys nommera les nouveaux bouts de la brigade de Rabaska, quel jour les nominations seront faites. Il a obtenu la promesse formelle d’un emploi de contremaître ; tant qu’elle ne sera pas exécutée, il presse ses amis. Et puis il s’occupe activement de la composition de l’équipage qui tombera sous ses ordres. Il soumet des noms : Turenne au gouvernail, Philippe Lelâcheur, tel ou tel milieu. Il communique sa liste à Cournoyer et il le consulte.

Puis qui sera le bourgeoys en charge du district de Rabaska ? Quel est-il ? Et le nouveau guide ? Quel nom porte-t-il ? Quels sont ses antécédents ?

Enfin, tout est fait. Il respire. Premier rameur ou contremaître d’un canot, il commandera une équipe de son choix.

Une nuit tiède du commencement de juillet immobilise dans le firmament ses étoiles palpitantes. Les portes du fort sont fermées, mais les fenêtres des édifices, à l’intérieur, sont ouvertes. Et, des salons, s’échappent comme de prestes oiseaux les notes des violons, les airs enlevants des cornemuses, les paroles des chansons. Vêtus de costumes élégants, avec manchettes et dentelles, les colporteurs se délassent au bal. Ils dansent dans l’immense salle à manger, quelque blanche au bras, ou une métisse, ou une Indienne. À mille lieues de la civilisation s’étale un mélange de raffinement et de barbarie, d’opulence et de pauvreté. Les bouteilles se vident, la fumée des pipes s’accumule sous le plafond bas.

Montour écoute le violon égrener ses notes menues dans le continent désert. Poursuivi par elles, il s’en va le long du lac, loin de la fête luxueuse et grossière, où il n’est pas admis, loin des Indiens en boisson que l’on a désarmés et qui courent dans le camp en folie, loin des rixes et des soûlades des

[ 45 ]