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Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/86

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et ils entrent dans la baie du Nord. Ils avironnent le long des falaises rougeâtres et tristes que couronnent des forêts de sapins peu épaisses. La terre devient plus stérile encore : du granit partout, et, au large, des îlots de diverse grandeur. En quantité prodigieuse, du bois flotté parsème la surface de la baie et couvre les grèves.

Enfin, ayant terminé leur pérégrination, les hommes du Nord mettent à terre à la Pointe rouge. Triste lieu : sur la berge déserte, une couple de chantiers non entourés de palissades d’où s’échappe par ce soir prématuré de la mi-octobre de gros flots de fumée désolée : le fort Providence. Le ciel suinte sa tristesse dans l’air glacial et l’eau montre cette rugosité sombre des derniers jours d’automne. Déjà la terre gelée résonne sous le pied ; et, tout près, dans les forêts, repose la première couche de neige que les conifères ont protégée contre l’ardeur du soleil.

Les cris, les fusillades des nouveaux venus s’éteignent d’abord sans écho. Mais bientôt, surpris, hésitants, des hommes sortent par la porte basse des chantiers, examinent un instant les canots, se mettent à courir vers la grève en ébauchant de grands gestes d’amitié.

Admis dans la pièce basse, sombre, où Lenfesté se tient d’ordinaire, frileux, au coin de la cheminée, Nicolas Montour observe son hôte. Cérémonieux, formaliste même, le traiteur multiplie les gestes de bienvenue. C’est un grand homme maigre ; une moustache hérissée de chat croît à l’abandon dans sa figure ; volumineuses, les bajoues tremblotent au moindre mouvement ; dans le regard des yeux quelque peu chassieux, aucune expression facile à saisir.

Lenfesté écoute le récit des événements. Visiblement ennuyé par cette irruption soudaine d’une vingtaine d’hommes, de trois canots chargés de marchandises, par l’arrivée des Petits qui ont opéré leur débarquement à sept ou huit arpents de son fort et choisissent maintenant leur emplacement d’hivernage, il conserve cependant son sang-froid. Rien, semble-t-il, ne peut

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