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les opiniâtres

Indiens de la rive se brisèrent contre elle sans exciter une riposte. Puis elle pivota sur elle-même, remonta le courant sur une courte distance, se laissa de nouveau emporter, toujours silencieuse et provocante ; sans se lasser, elle recommençait la même manœuvre, en plein soleil, narguant la garnison, affolant les Sauvages comme un défi répété.

Une brise favorable s’éleva. Et alors, sous le commandement de Jean Nicolet, s’élança en chasse une lourde chaloupe montée d’une quinzaine d’hommes. Pierre avait sauté dedans, mousquet au poing.

— Nous allons nous battre ? demanda-t-il à Jean Nicolet qui se tenait debout à la proue.

— Nous battre ? questionna celui-ci, comme s’il ne comprenait pas. Puis il nota l’énervement de Pierre et il sourit. Soldats et colons s’absorbaient aussi dans la poursuite, brûlaient d’en venir aux mains et de punir cette jactance. Le commandant au contraire scrutait attentivement la rive sud dont le bourrelet vert se dessinait au-dessus de l’eau, ou le rivage nord que les embarcations suivaient ; froid, toujours un peu distant, sans nerfs, semblait-il, dans sa chair, il n’accordait qu’un regard au canot iroquois qui filait sans hâte, se laissait approcher, s’esquivait, sa légèreté moquant la lourdeur de la biscayenne.

Enfin, la pirogue inclina vers le rivage ; les guerriers enjambèrent le bordage et disparurent dans les aulnes. Sur commandement de l’interprète, la chaloupe exécuta demi-tour ; le petit espoir de fonte tonna et l’on vit culbuter deux ou trois Iroquois là-bas dans les herbages. Puis Jean Nicolet alluma son calumet et la biscayenne se laissa drosser. Désappointés, des soldats, Pierre lui-même, levèrent des yeux incrédules : retournerait-on sans tirer un coup de feu ? refuserait-on le combat ? Les envisageant de ses impassibles yeux bleus, Nicolet parla par petites phrases :