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les opiniâtres

— Vois-tu ? avec les plantes, personne n’est jamais seul. Elles vivent comme les personnes. On cause avec elles. Petites et faibles, elles implorent ton assistance. Celle-ci se plaint : « Une mauvaise herbe m’étouffe et me vole la sève dont j’ai besoin ». Et cette autre dit : « La terre durcie me garrotte d’un collier ». Et une troisième se lamente : « J’ai soif, voici dix jours qu’il n’a pas plu, je me dessèche ». Et il faut que tu leur répondes : « Attendez, mes mignonnes, mes belles » ; et tu arraches vivement la mauvaise herbe, tu brises la terre autour des tiges, tu l’ameublis. Et quand tombe une abondante pluie chaude, tu te mets à la porte, tu vois l’eau s’infiltrer jusqu’aux racines, les plantes se pâmer d’aise, tu te réjouis avec les légumages, avec les froments. Les plantes se font belles pour toi. Tu distingues les estropiées, les pauvres d’esprit ; tu les soignes, chacune selon sa condition. Et alors tu vis avec une infinité d’êtres.

Car il l’appréhendait : Ysabau devrait livrer le même combat que lui, elle devrait s’adapter à la solitude et à la vie des champs. Y réussirait-elle ?

Ils remontaient le fleuve à très petites étapes. Le soir, ils dormaient sous une tente d’écorce de bouleau tendue sur des perches ; ils allumaient un feu sur la grève entre deux pierres. Et les jours de pluie ou de grand vent, ils demeuraient au bivac.

Puis, un soir, Pierre dit à Ysabau :

— Nous ne partirons pas demain matin ; nous nous reposerons toute la journée et désormais nous voyagerons de nuit.

— Pourquoi Pierre ?

— Le fleuve est moins sûr à mesure que nous avançons.

— Les Iroquois, Pierre ?

— Les Iroquois. L’an passé, ils sont encore venus sur le Saint-Laurent. David Hache nous