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les opiniâtres

long, jaillissant de la brousse, montaient les troncs d’un seul brin de la futaie centenaire ; au bout des nervures de ses grosses branches, celle-ci composait une seconde voûte de feuillage qui frissonnait là-haut dans le soleil et dans le vent. Entre le premier dôme et le second régnait un large espace où ne s’apercevaient, dans l’air vert à peine rayé de taches de lumière, que les colonnes noires, argentées, grises, des bouleaux jaunes et des chênes, des hêtres et des noyers, massifs et élancés, mais en même temps sages, sains, immobiles parmi les changements.

Pierre ne pouvait pénétrer sous leur ombre sans être assailli par les rêves qu’il avait édifiés pendant les heures de sa solitude ; qu’il avait mis au point, jour après jour, au cours de méditations qui tenaient du calcul et de la rêverie. Et maintenant, dans l’effervescence de l’amour, il les racontait à Ysabau à mesure que tous deux progressaient, pygmées liés bras sous bras, dans ce royaume de géants.

Ici, il construirait la maison et les bâtiments ; il avait déjà choisi beaucoup de bois d’œuvre, ne conservant que des billes parfaites et livrant le reste aux flammes, le printemps. Certaines pièces étaient même façonnées à la cognée. La pierre pour les murs et la cheminée affleurait à proximité.

Du côté droit, à bonne distance, Pierre n’abattrait aucun des pins qui croissaient. Ces vieux fûts rougis de gomme portaient à leur sommet un toit d’aiguilles, plat. Ils abritaient un sol différent, sorte de sommier élastique composé de branches mortes et de cocotes, où le pied s’enfonçait comme en un tapis sec ; pas d’herbe, pas de sous-bois, pas de boue. Ysabau retrouverait là le bruissement frais de la mer.

Pierre indiquait au passage les réserves forestières à exploiter : elles fourniraient le bois de chauffage et produiraient les essences dont le