Page:Destutt de Tracy - Élémens d’idéologie, première partie.djvu/180

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différente de la première qu’on la suppose pour nous, qui connaissons leurs circonstances, leurs propriétés, les corps qui les occasionnent, les organes qui les transmettent ; quand on ignore tout cela, il est bien vraisemblable qu’on n’est pas en état de séparer l’une de l’autre ces deux sensations qu’on éprouve en même temps : faute de moyens de les distinguer, elles doivent paraître à elles deux ne faire encore qu’une sensation. Malgré tout ce que nous savons d’avance, quelque chose d’analogue à cela nous arrive tous les jours, lorsque les données nous manquent pour juger : ainsi, par exemple, quand j’éprouve le goût d’un sel, je ne distingue pas ceux de l’acide et de l’alkali qui le composent ; quand le noir et le blanc se mêlent, j’ai la sensation de gris, et je ne distingue pas les couleurs composantes ; quand je sens un pot-pourri bien fait, je sens l’odeur du pot-pourri, et ne discerne pas celle de chaque fleur ; quand j’entends un son, souvent je ne discerne pas chacun des sons harmoniques qui le composent ; quand je suis poussé par une force, j’ignore si c’est une force unique ou la résultante de plusieurs autres ; quand enfin