Page:Dick - Les pirates du golfe St-Laurent, 1906.djvu/114

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iof/ Montréal, 13 octobre 1906. — Je dis le “doge” : ne comprends pas le “dogue.” . C’est tout un pour moi... Enfin, que faisait-il, ce doge de Vénise ? Il épousait 1 Adriatique, une mer célébré de son pays. Toi, tu marieras la grande mer canadieiine : le golfe Saint-Uurent. I l Thomas, enchanté de lui-meme, battit une couple d entrechats. , Que le diable t emporte ! fut la breve repliqlie de Gaspard, qui lui tourna le dos. I h silence assez long suivit. Profitons de cette trêve entre les deux compères pour dire que cette conversation avait lieu dans 1111e grotte du "Mécatina”, à une faible distàiice du “Marsouin”, laissé à la garde des deux matelots. . Cii falot du bord éclairait la scenc, qui valait certes la peine d’être illuminée. Imaginez une vaste excavation à voûte arrondie. mais toute hérissée de stalactites rognées par le temps et dont les parois presque perpendiculaires rejoignaient le sol formé de pou - s i ère où le calcaire gris mêlait sa nuance ,, la coloration brune des tufs tendres et au miroitement affaibli des quartz effrités. I’ 1 îr -ièges, les deux marins avaient chacun un tronçon île stalagmite, que le temps, ouvrier patient, avait raccourci en y frottant sa main impi e able. jusqu’à la hauteur d’un escabeau ordinaire. Cette grotte, dont l’ouverture se trouvait à un niveau plus élevé que le pont du “Mar-- min", n’était, pour ainsi parler, que le vestibule d’autres cavernes qui se succédaient, à différentes hauteurs, dans la masse pierreuse du “Petit-Mécatina.” Toutefois, il était à supposer que les alvéoles comique- à celle où causaient les deux marins devaient se trouver à une profondeur plus grande. car, au moment d’entrer de plein pied dans cette retraite digne de la nymphe Calypso, la mer était haute, ne l’oublions pas. Et, ce qui semblait confirmer cette déduction, c’est que, dans un enfoncement où se projetait vaguement la lumière du falot, on distinguait une - >rte d’escalier à larges marches à peine ébauchéi - dans le roc, aboutissant à une ouverture irrégulière, bien qu’affectant à peu près la forme d’un carré long, dont on n’apercevait que le haut. A n’en pas douter, là devait se trouver une caverne importante, puisqu’on avait pris la peine de lui fabriquer une porte massive, faite d’une seule pierre qui tournait sur une tigé centrale de fer. solidement fixée au monolithe par de forts crampons. Le bloc en question, transformé en porte, de même que les chambranles de cette porte, étaient en pierre grisâtre, plutôt noire : du granit. Car. — disons-le une fois pour toutes et en considérant la partie rocheuse du Mécatina en bloc,— ce qu’on peut appeler l’ossature de ce géant de pierre est formée de pans verticaux de granit noir, servant de contreforts aux masses calcaires interposées et juxtaposées.

us du dehors, et surtout du côté qui fait face

a la terre ferme prochaine, les rochers se dressent presque à pic, surgissant du fleuve, sans accotements de sable et, dans bien des endroits, sans la plus petite corniche où l’on puisse poser le pied. II en résulte que l’île est inabordable le long de ces falaises et fort dangereuse pour les navires en di tresse, jetés dans cette direction par la tempete. Toutefois,*à marée basse, — surtout en temps ■ etlu,noxe où le flux et le reflux sont portés à cur extreme limite, — on peut voir çà et là, enj es r°l’hers noirs qui servent de base au cap, bnsS’ . CC>;S (*’arÇat’es nui ressemblent à des ern- |.’;J’lrts :i demi-submergées encore, mais que fière, moi’tant ne tardera pas à recouvrir enpansinn " ’CS Prem’^res heures de son exp ses oa„trCa<*eS no‘res- entrevues dans les basfes crei, V>ntie’les *es Portes d’entrée de caversesgranitiques ? S Ca,Ca’re interPosé des mas‘ DisoniVaUr?nS bientôt’ Ccs hautes’ ~ suit.d,que, vues du nord et de l’est, et d’aliirn„Imiri11. ? Pr,ses, de hauteur variable Presque - ,ent lrrePuber, rayées à intervalles 11 x de contreforts en granit brunâ-Album Universel (Monde Illustré) No 1172 tre, donnent à l’oeil l’impression de quelque redoutable forteresse du Moyen-Age, avec scs bastions en saillie, ou de quelqu’une de ces vieilles abbayes a moitié démantelées, que les siècles réduisent lentement à l’état de masses pierreuses sans formes ni couleurs précises. Quoi qu’il en soit, il résulte de cette intercalation, entre les roches calcaires, de hauts pans granitiques, — qui, vus de champ à l’extérieur, ressemblent à des fûts de basalte,— il résulte que le côté nord du Mécatina est tout bonnement une immense ruche de pierre dont les alvéoles sont les cavernes résultant de la dissolution séculaire des calcaires qui les remplissaient, tandis que le granit inattaquable a résisté aux efforts du temps. Mais.. . assez de géologie. Revenons à nos compères. Thomas n’eut garde de se livrer au diable, comme venait de lui souhaiter son irascible ami. 11 se contenta de lever les épaules, tout en lançant vers la voûte une épaisse bouffée de fumée. Puis, remettant le tuyau de sa pipe entre ses lèvres moqueuses, il eut l’air de s’absorber béatement dans le bonheur de fumer du bon tabac. Gaspard, après quelques voltées sur place, se rassit, calme en apparence. Mais il était clair qu’un orage terrible grondait dans son cerveau. — Tu as tort de me gouailler, Thomas, dit-il presque humblement. Je souffre toutes les tortures de l’enfer, et si tu étais à ma place.... — Eh bien, si j’étais à ta place... — Oui, que ferais-tu ? — Ce que je ferais ?... Oh ! une chose bien simple... — Laquelle?... Voyons: déboutonne-toi donc, une bonne fois. Au lieu de répondre de suite, maître Thomas retira tranquillement sa pipe de ses lèvres, la vida avec soin en la heurtant à petits coups sur le bout de sa botte ; puis, après l’avoir enfoui dans la poche de son veston de loup-marin, il regarda fixement Gaspard et dit enfin : — Je laisserais, d’abord, ces gens-là se marier paisiblement... — Le beau conseil !... interrompit avec une ironie amère Gaspard Labarou... Puisqu’il est impossible d’empêcher la chose ! —... Puis, continua froidement Thomas, un beau jour, — ou plutôt une belle nuit, — alors qu’on me croirait bien loin et résigné, j’enlèverais la jeune épouse... — Hein!... Que dis-tu?... Enlever Suzane ! —.. .Et je l’amènerais ici, en grand secret... continua sans sourciller ce modèle des.frères. .. —... Mais !... voulut interrompre l’autre. —...Puis je la retiendrais jusqu’à ce que quelque accident de mer ou... autre élément la rendît veuve. —Oh ! oh ! — Voilà ce que je ferais, si j’étais amoureux d’une femme et que cette femme voulût me “brûler la politesse ! ” conclut maître Thomas, sans qu’une ombre d’émotion parût sur sa figure impassible. Gaspard ne parut aucunement surpris de cette suggestion. Il s’y attendait. Tout de même, le manque total de sens moral chez ce frère, qui conseillait le rapt de sa soeur comme la chose la plus simple du monde, parut l’étourdir un moment. Il courba la tête et ne dit mot : — Ca ne te va pas, mon vieux ?... reprit le copain Thomas sur un ton goguenard ; ça bat en brèche tes idées sur la sainteté du mariage ? ... Soit : n’en parlons plus. — Si... si... Ca me va, au contraire... J’y avais même songé... murmura Gaspard, très perplexe. Puis, après un pause de quelques secondes, il ajouta, en baissant le ton : — Seulement... — Quoi ?... interrogea Thomas. — j’aurais aimé mieux enlever Suzanne avant le mariage, qu’après... — Je comprends ça, mon garçon ! approuva Thomas, avec un vague sourire. Puis il reprit : — Il faut être philosophe, vois-tu... Une jeune veuve qui n’a été mariée qu’un jour, une semaine, un mois même, vaut encore mieux qu’une vieille "squaw” sur le retour... — Pouah ! fit Gaspard avec dégoût. — Et, d’ailleurs, au diable les préjugés ! — car, ces idées-là, c’en est. Moi, si jamais je prends femme, ce 11e sera qu’une gaillarde qui aura usé une demi-douzaine de maris. Celle-là, du moins, pourra me guider dans le chemin marécageux de la vie conjugale. Et maître Thomas, après cette déclaration d’une orthodoxie fort contestable, rechargea complaisamment son bout de pipe. Gaspard parut goûter assez peu la philosophie très large de son copain... Mais il 11e souffla mot. La tête lui faisait mal. Un combat s’y livrait, évidemment, entre le génie du bien et le génie du mal. Qui l’emporterait ? Ce fut le sombre esprit de l’abîme. Vers deux heures du matin, — alors que maîtres et matelots du "Marsouin” dormaient à poigs fermés dans leurs cadres, — un son lugubre, une fanfare apocalyptique, un hurlement macabre.. . retentit dans le silence de la nuit. “ Ton ! ton ! ! ton J ! ! — Ton ! ton ! ! ton ! ! !” répétait la voix effrayante, 11e s’arrêtant que quelques secondes entre ces deux phrases d’une musique infernale. Réveillés en sursaut, les quatre dormeurs du Mécatina sautèrent hors de leurs lits. Mais vite ils se rendirent compte de ce dont il s’agissait. — La "Marie-Jcanne !” dit Thomas, le premier. — En effet, c’est son signal... confirma Gaspard. — Vite, répondons. Et les quatre hommes, escaladant le cap, eurent tôt fait de recueillir chacun une brassée de varechs et autre herbes desséchées, qu’ils disposèrent en trois tas et enflammèrent sans retard. On vit alors, vers le nord-ouest de l’île, à un demi-mille de distance environ, un vaisseau qui approchait, ayant un fanal bleu attaché à son mât de misaine, outre ses feux de position réglementaires. — C’est bien la "Marie-Jeanne” ! répéta Thomas Noël. Ma foi, elle ne saurait arriver plus à propos. — Savoir !... murmura Gaspard. — Quoi donc ? Le lieutenant, — ou plutôt le second capitaine du “Marsouin”, — approcha sa bouche de l’oreille de son ami : — Savoir, dit-il à voix basse, — à cause des matelots, — si le Canadien ne s’opposera pas à nos projets. — Hum ! Tu as raison... Ces Canadiens sont de si drôles de gens : à cheval sur les principes religieux 1 — Ne parlons de rien pour le moment. — C’est entendu... “Motus !” — Une fois l’affaire dans le sac, nous nous moquerons des scrupules de notre associé... —.. .Et lui dirons: Trop tard, mon bonhomme. .. Va prêcher les gens de ta paroisse. — Ce qui signifiera : Mêle-toi de tes affaires. Ayant disposé à l’avance des objections du capitaine canadien, nos deux Français redescendirent le cap pour recevoir le visiteur, dont la goélette venait de jeter l’ancre à quelques encablures des rochers. CHAPITRE III OU THOMAS IMPROVISE UNE SINGU-LIERE HISTOIRE Quand le soleil reparut, ce matin-là, un peu après trois heures, — car on était au 20 juin, c’est-à-dire dans les jours les plus longs de l’année, — une grande animation régnait entre les hautes roches du “ Petit-Mécatina.” Les équipages des deux goélettes, faisant oeuvre de charpentiers et de mineurs, jouaient de la hache et du pic dans les grottes. Les matelots de la “Marie-Jeanne” évidiaient une étroite galerie le long des parois de la caverne où l’on avait, l’année précédente, fixé une grande pierre en guise de porte.