Page:Dick - Les pirates du golfe St-Laurent, 1906.djvu/116

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Montréal, 20 octobre 1906. Album Universel (Monde Illustré) No 1173 ECnraglatr* onnfortniraont A l’ucto daa droits d’autaur LES PIRATES DU GOLFE ST-LAURENT Suit» d"’UN DR AMR AU LABRADOR; publié dan» (Le Motule Illustré) Album Universel roman canadien inédit (Suite) {>ui„, dans un soubresaut énergique, il s’arracha À cette contemplation intérieure, redescendit lVsaalier des cabines, ouvrit un placard, so versa un grand verre d’eau-de-vie, alluma sa pipe et remonta sur le pont, où il s’étendit la tète appuyée sur un roule»au de câble. Tout cela sans articuler une parole. Cependant le copain Thomas, plus calme, faisan scs calculs, lui, sans démonstration d’aucune sorte. Comme on avait nus quatre heures pour parcourir les trente milles séparant le Petit-Mécatina de Kécarpoui, le capitaine estimait que -a galette serait en vue de l’île du Sable, son but visé, vers deux heures du matin,—car vingt milles seulement restaient à parcourir pour atteindre l’île du Sable, où campaient les Micmacs cette année-là. I.’ile du Sable, assez vaste et bien ombragée, —par conséquent pourvue d’eau douce,—fait partie d’un archipel qui s’étend de la petite rivière St Augustin à la rivière Shécatica. Le déplacement de ces Micmacs, mâtinés de Montagnais, n’avait donc été que de quelques milles dans I est. r La rivière St Augustin, plus haut nomntee, les séparait maintenant de leur ancien camp de l’année précédente. _ . En outre, comme leur nouveau lieu de villégiaturé est une île, naturellement un bras de mer, quoique assez étroit, les isolait de la côte. Ces estimables aborigènes avaient-ils donc quelques peccadilles sur la conscience, pour se garer ainsi contre les surprises possibles ?... Il y a mille contre un â parier pour l’affirmative. Toutefois, comme nous ne sommes pas investi du mandat d’éclairer la justice à cet égard, passons.... • , Ou plutôt abordons. Il est deux heures et quinze minutes du matin. La mer est tout à fait basse, et même le courant du montant arrive déjà du détroit de Belle-Isle. Dans quelques minutes il coulera comme dans une dalle. — Largue l’ancre ! commande Thomas. Les deux Jean se précipitent... Le clignet du “guindeau” est levé... Ht le lourd appareil de fer tombe à l’eau, entraînant sa chaîne avec un bruit capable de réveiller un cataleptique. La goélette, dont les voiles ont été préalablement abattues, recule sous l’effort grandissant du flux jusqu’à l’extrémité de sa chaîne, qu’elle raidit fortement... Puis, après un léger retour en avant et quelques oscillation, elle s’immobilise... dans ce doux balancement sur place que connaissent si men tous les gens de mer. Sans même prendre le temps de cargtter les ’odes abattues et gisant en larges plis sur le Poit, Thomas commande : —Ohé ! là ! mes deux Jean, arrivez un peu ! ••• La chaloupe à la mer, et ne lanternez pas ! Les matelots, ainsi apostrophés, prennent acim un des râbles qui retiennent l’embarcajon collée au couronnement de oouoe et les coiiee au couronnement de poupe et ent doucement filer. trç 4 c*la’ouPe touche l’eau et prend son équilityant v’rc.’os cables, et une- paire de rames Ditain ni‘scs à leur disposition, les deux caaussbv S,e aisscnt glisser à bord et s’éloignent «s’to dans !.a direction du village. quelnn^1S ’a rive at‘einte, — ce qui ne prit que minutes,— les deux hommes tirèrent le grappin aussi haut, sur la grève sablonneus ®> que le permit la longueur de la chaîne, et s éloignèrent rapidement dans la direction d’un bois de sapins, couronnant une hauteur, à une couple d’arpents en aval. Au détour de ce cap, à chevelure de conifères, s’arrondissait en demi-cercle une prairie naturelle où se voyaient une dizaine de cabanes faites de perches liées à leur sommet et recouvertes d’écorces. On eut dit, en voyant de nuit cette agglomération de cônes sombres, une de ces fourmilières géantes dont parlent les voyageurs de l’Afrique Centrale. Nos deux nocturnes visiteurs allaient poursuivre leur route, quand ils en furent empêchés par le plus épouvantable concert d’aboiements qu’oreilles humaines eussent jannais entendu. En même temps, cinq ou six chiens de forte taille bondirent dans leur direction. —- Diable ! murmura Gaspard, tirant de sa gaine son poignard de marin. — Les braves bêtes ! dit tranquillement Thomas, tout en S’arrêtant pour porter ses doigts à sa bouche, d’où sortit aussitôt un sifflement strident qui domina le bruit des chiens et les fit taire. CHAPITRE V LES NAUFRAGEURS Quand le jour parut, le “Marsouin” était bien près de franchir la limite orientale de la province de Québec. Par son travers de bâbord défilait le chaos pierreux du littoral nord, bastionné par le Cap Blanc-Sablon, qui sépare Québec du Labrador. Thomas Noël, voyant avec quelle difficulté le “Marsouin” gagnait sur le courant puissant du détroit, se décida à jeter l’ancre sous le vent du Sablon, dans la baie de Forteau. Dépassant le phare très primitif qui existait alors, il serra de près les crans abrupts du littoral en forme de croissant, longea la courbe hérissée de caps et de mamelons, puis finit par “fourrer” sa goélette,— pour parler son langage, — dans une anse étroite du bras oriental de la baie, dominée à l’ouest par un morne très élevé, qui le dérobait entièrement aux regards. Le premier soin du capitaine Thomas, quand il havrait quelque part, de jour ou de nuit, était de dissimuler sa présence le mieux possible. Le brave garçon avait une conscience de sensitive et se rendait la justice de comprendre La goelette, dont les voiles ont été préalablement abattues, recule sous l’effort grandissant du flux. Du reste, le camp s’éveillait et des ombres fantastiques sortaient des huttes. — Qui va là ? demanda une voix. — Le “Marsouin”, répondit Thomas. Un silence se fit. Puis un des sauvages s’avança... — Vous voulez ?... dit-il simplement. — Parler à la “Gtande Ourse.” Aussitôt, une longue et sèche femme, affublée de loques disparates, marcha comme 1111 grenadier à la parade vers les deux Français. — Tu as besoin de l’Ourse, mon fils, articula-t-elle d’une voix caverneuse : que lui veux-tu ? — Je te l’ai dit, la mère : j’ai à te parler. — Viens ! Et, sans plus se soucier des autres, elle entraîna le capitaine à cent pas de là. La conférence dura un bon qu»art d’heure. Puis Thomas revint et dit : —Tout est convenu. Rembarquons. Gaspard, sans répliquer, suivit son camarade. Une demi-heure plus tard, en dépit du courant de montant, le “Marsouin” levait l’ancre, hissait ses voiles et s’éloignait, vent en poupe, dans la direction de Belle-Isle. qu’il n’était pas tout à fait en règle avec la société. Aussi ne faisait-il jamais de bruit, parlant peu, mais en revanche agissant beaucoup. Quand son vaisseau fut bien abrité,— et surtout bien caché à tous les regards, — Thomas, se frottant les mains, dit à son compère : — Maintenant, mon vieux, que nous voici installés à notre satisfaction dans un bon franccoin de la Pointe-aux-Morts... — La Pointe-aux-Morts?... interrompit Gaspard. — Sans doute... Ce bras de la baie de Forteau s’appelle ainsi... Consulte la carte. — Diable... Tu deviens géographe, compère ! — J’>aime savoir où je suis et où je vas. — Tout de même, voilà un nom qui sonne lugubrement à l’oreille. — Je ne dis pas le contraire. Mais ce sera l’empire quand se lèvera le jour de demain, si mes pronostics ne me trompent pas. — Ah I tu flaires quelque bonne bourrasque? —Mieux que cela ! — Quoi donc ? — Une tempête, mon vieux. — Ah I ah 1 5