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Album Universel (Monde Illustré) No 1174 Montréal, 27 octobre 1,506. —Diable ! On ne traverse pourtant pas tous les jours la terre en baleine... —Cetait peut-être 1111 de tes compagnons de voyage ! —C’est bien possible, tout de même.... Et quand ton homme des lies fit-il ce.... prétendu plongeon de quelques milliers de lieues ? —11 y a deux ans, la même aimée que toi. —Oh! là! là!... Comme ça se trouve! Pendant que tu tombais dans la chiite Montmorency et traversais l’île d’Orléans par un conduit souterrain, nous, marins français, passions à travers notre propre globe, sans accrocher dans le trajet !... Avoue que ces aventures-là n’arrivent pas aux Anglais. — Ma foi non : ils sont bien trop positifs pour les afoir, même en imagination. Et les deux bons lurons, se levant à l’appel du capitaine, échangèrent les singulières réflexions suivantes : —Tout de même, dis donc : si c’était arrivé? —Croyons-y. C’est tout comme ! Et tohs deux éclatèrent d’un rire sonore qui mit en branle les échos multiples de la “Baie du Diable.” Une voix cria du haut des rochers : —Hé! là! qu’est-ce qu’il vous prend, les marsouins ? C’était l’organe de Thomas Noël. Presque aussitôt, la silhouette de son compère, Gaspard Labarou, se décalqua sur le ton rougeâtre de la falaise. I! héla : —Arrivez un peu ici, les gars : on va fermer la boutique. Qu’était cette boutique ? Nous allons voir. Au moyen d’une échelle, dressée contre la falaise et s’appuyant du pied sur le pont de la goélette, les deux gars interpellés grimpèrent jusqu’à leurs commandants. Une sorte de plateforme triangulaire, couvrant une superficie d’une dizaine de verges de front sur autant de profondeur vers son centre, régnait là. Au sommet de ce triangle s’ouvrait un trou noir, creusé profondément dans les calcaires poreux, que consolidaient les masses granitiques interposées. C’était là ce que maître Gaspard appelait la "boutique.” On y avait entassé, à marée haute, le butin enlevé au malheureux navire de la “Pointe-aux-Morts ”, — ne gardant à bord du “Marsouin” que ce qui pouvait être d’utilité première dans le voyage aux îles françaises. Grâce à un très fort palan, le débarquement avait pu s’opérer en moins de deux heures : ce qui avait permis au personnel de la goélette de prendre un court repos, les matelots à bord et les maîtres dans l’excavation même appelée “boutique” par le capitaine Gaspard. Maintenant il s’agissait donc de fermer l’ouverture de cette excavation où les “naufrageurs ” allaient dérober à toutes les recherches possibles le fruit de leur épouvantable forfait. Le palan fut de nouveau utilisé. O11 manoeuvra de gros quartiers de roches éboulées ou qu’on arracha de leurs alvéoles. Des troncs d’arbres morts furent disposés en travers de l’ouverture, entremêlés de sapins verts et de varechs hissés de la mer... Bref, après un travail consciencieux, quand vint le soir, — et, avec le soir, une bonne brise de vent de nord-ouest, — le “Marsouin” put quitter la baie du “Diable” et filer grand largue vers le cap à la “Chaloupe” et la baie du “Pistolet”, où commence, à bien dire, la côte orientale de Terre-Neuve. Neuf jours plus tard,—dans la nuit du 7 juillet 1853, — le “Marsouin” jetait l’ancre, à l’est de Saint-Pierre de Miquelon, entre l’“Ile-aux-Chiens ” et le “Cap-à-l’Aigle”, en dehors du barachois qui sert de rade à la ville. Le “Marsouin” s’était comporté vaillamment pendant cette longue course dans des parages exposés aux dangereuses colères de l’Atlantique. Il est vrai d’ajouter que la première semaine de juillet, cete année-là, fut particulièrement remarquable sous le rapport de la température. —Une neuvaine de St Jean-Va-Toujours ! disait irrévérentieusement Jean Brest, tirant de son cerveau inventif ce nouvel élu du Paradis, totalement ignoré des congrégations romaines. Et le facétueux marin avait quelque raison de choisir, en cette circonstance, un saint à authenticité douteuse, car nous inclinons à croire qu’un véritable membre de la Cour Céleste se serait bien gardé de souffler dans les voiles d’un vaisseau qui venait d’accomplir la “jolie” besogne que l’on sait. CHAPITRE IX LA GRANDE OURSE ENTRE EN SCENE Nous laisserons nos contrebandiers à leurs petites opérations, sans indiquer aux agents du fisc une seule des ruses du métier, étant persuadés que ces messieurs en savent pour le moins aussi long que nous sur ce sujet. C’est à la baie de Kécarpoui, théâtre principal de notre drame, que nous retournerons, précédant de quelques heures seulement le retour du "Marsouin”, chargé de liqueurs hérétiques et de. .. butin de naufrage. Nous sommes au 20 juillet. Il est dix heures du soir. La nuit est belle, éclairée par une lune à son troisième quartier, que voilent souvent des nuages épais, mais rapides et fugitifs. Cette succession d’éclairs blafards et de pénombre grise produit sur la rétine de l’oeil qui l’observe une sorte d’éblouissement qui empêche la perception nette des objets. A la porte du chalet des Noël, sous la large véranda qui fait face à la baie, un jeune homme et une jeune femme, pressés l’un contre l’autre, échangent de doux propos, ponctués par des accolades qui ressemblent fort à des baisers... Chut ! ne troublons pas par des suppositions indiscrètes les épanchements de ce couple heureux que la blonde Phébé elle-même semble favoriser en tamisant, à travers l’ouate serrée des nuages, ses rayons couleur d’opale. Ces deux jeunes gens, — avons-nous besoin de le dire ? — sont le capitaine Arthur Labarou et sa femme, Suzanne Noël. Tout en devisant avec la tendre nonchalance de nouveaux mariés, le joli couple suit du regard un canot decorce, pagayé par un homme et une femme, qui se dirige vers le côté opposé de la baie. Les deux nocturnes canotiers ne sont autres que Louis Noël et sa femme “Mimie”, qui s’en retournent chez eux, après avoir passé la veillée chez leurs parents du côté est. Les palettes de leurs avirons, ruisselantes d’eau, scintillent à intervalles réguliers sous les rayons lunaires. On entend vaguement la voix cristalline de Mimie alterner avec l’organe plus sonore de Louis, dans ce duo un peu suranné : “Dis-moi, Lucie...” Puis, à mesure que le canot s’éloigne, les voix s’affaiblissent, le bruit des pagaies s’éteint, le silence se fait. Seules, les grenouilles s’égosillent dans les ajoncs et la chute fait entendre sa monotone clameur. Le jeune couple est maintenant silencieux. Quelque chose comme une appréhension indéfinissable alourdit l’air que respirent ces adolescents, liés l’un à l’autre, depuis quelques jours à peine, par la chaîne dorée du mariage, et met dans leurs yeux des lueurs ophéliennes. —Rentrons, veux-tu ?... dit enfin la jeune femme... Cette nuit est trop belle... Ce calme m’oppresse... J’ai presque envie de pleurer. —Chère petite folle ! répond tendrement le mari... Toujours ces craintes chimériques qui hantent ta jolie tête !’... Chasse-moi vite ces vilains papillons noirs qui voltigent dans ta pensée. —Je le voudrais, Arthur, que je ne le pourrais pas.... Le passé est encore trop près de nous, vois-tu... Ah ! je donnerais bien quelques années de ma vie pour oublier cet affreux cauchemar du 25 juin dernier, que ta miraculeuse arrivée a transformé en réalité céleste... Mais... —Mais quoi?... Voyons un peu... Dis toute ta pensée. —Mais j’ai là,—et Suzanne toucha sa poitrine, —un poids qui me comprime le coeur, quand tu n’es pas à mes côtés. Enfant, va ! affecte de dire d’un ton badin le mari, dont le front toutefois se charge d’ombre ... Que peuvent maintenant contre nous ton frère et mon cousin?... Oseront-ils seule ment reparaître dans cette baie ? -Qui sait ?... Gaspard est bien méchant ’ Quant a mon frère Thomas, il m’épouvante avec son sourire diabolique et sa manie de se moquer de tout. —A dire vrai, murmure le capitaine du “Vengeur ”, comme se parlant à lut-même, ce Thomas est un bien drôle de type. Il ne croit ni à Dieu ni à diable... —Tu vois bien!... remarque Suzanne. —.. .Mais j’ai l’oeil sur lui, comme sur l^autre ”, achève Arthur... et je veillerai ! Puis, jetant un regard au firmament, — cette horloge du marin, — il se lève, disant avec une gaieté un peu nerveuse : —Près d’onze heures!... Oh! 0I1! ma jolie, vous m’avez fait manquer à mes devoirs de capitaine. . . Il faut que j’aille à bord donner mes derniers ordres... Je veux que le “Vengeur" soit prêt dès huit heures, demain matin, à recevoir la “reine du bord”, puisqu’elle veut bien lui confier, pour une croisière d’une quinzaine, sa précieuse petite personne. —Oui, va, mon ami. Je t’attendrai ici. Surtout, reviens sans tarder. —Je ne serai pas vingt minutes. Ne va pas prendre froid, ou moins. —Sois tranquille et... prudent. Une dernière accolade. Deux baisers échangés. .. et le capitaine Labarou dévale vers la berge, où l’attend un canot léger, genre youyou. En un clin-d’oeil, il est à bord et pagaie vers le “Vengeur”, mouillé en pleine eau, à quelques encâblures au large. D’un bras nerveux, Arthur fait voler la frêle embarcation d’une lame à l’autre, ne perdant pas un coup d’aviron, comme si le salut de sa femme dépendait de sa célérité. C’est que, lui aussi, se sent au coeur une appréhension étrange, un malaise indéfinissable, quelque chose cornu _ un pressentiment de danger dont il ne se rend pas compte. Et, pourtant, en cette soirée de juillet que rafraîchit la brise venue du Pôle, tout est si calme dans la nature assoupie, qu’il faut vraiment être marin pour éprouver cette mélancolie anxieuse qui enserre les coeurs habitués à battre sous l’impression reçue par le spectacle des grands horizons. Mais le capitaine n’est pas là pour philosopher, ni pour rêver. Il accoste, attache son canot et, empoignant les haubans de misaine, d’un seul élan, il est sur le pont du “Vengeur.” Les matelots l’ont entendu manoeuvrer et sont à leur poste pour le recevoir. —Eh bien! fait le capitaine, rien de nouveau? . .. Tout est paré? —Paré, astiqué, “suivé”!... répond le commandant du bord. —Les cabines?... —De vrais boudoirs. —Et le gréement? —En parfait ordre : pas un filin qui manque. —Allons, c’est bien... Nous partirons vers les huit heures. —C’est entendu, capitaine. . —Maintenant, mes amis... au revoir. Q»’ est de quart, de trois heures à six? —José Poquin, la Grand’Ficelle. —Va pour toi, José. N’oublie pas dobsencr le Golfe et de relever les vaisseaux de passage. —On aura l’oeil ouvert, capitaine. . . répondit le surnommé la Ficelle, grand “jack d une maigreur invraisemblable. —Allons, bonsoir. Dormez un peu. —Bonne nuit, capitaine. Arthur Labarou se disposait à enjamber c bastingage et à s’“affaler” dans son canot, o . qu’il s’arrêta net, cloué au pont par un cri p çant, quoique étouffé, qui semblait partir 1 chalet. Il devint tout pâle et dit à son commandant: —Avez-vous entendu, Duval? —Si... On dirait un cri de femme... —Suzanne ! c’est Suzanne !... Que se p> ■ • Ét, enjambant le plat-bord, Arthur kab*™ sauta, plutôt qu’il ne se laissa glisse , l’embarcation. , j>„ne D’un coup d’aviron, il s’éloigna, disan voix rapide : 10