Page:Dick - Les pirates du golfe St-Laurent, 1906.djvu/127

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gi6 Album Universel (Monde Illustré) No 1175 Que contenait-il et pourquoi la précaution prise de le placer à peu près hors d’atteinte? —" (,’a doit être de la poudre !" pensait, depuis lors et de fois à autres, le garçonnet, tout en continuant ses apprêts de départ. Et la tète lui travaillait, quand ce mot tragique:

"poudre”, y faisait irruption.

Si bien qu’au moment de s’engager sou* l’ar cade avec sa pirogue, Wapwi s’arrêta net et.. . recula, au lieu d’avancer. D’un bras nerveux, il fit... aviron en arrière, remit le canot où il était un instant auparavant et retourna dans le “magasin", d’où il venait de sortir. I,e petit tonneau ayant été atteint, soupesé et secoué, Wapwi murmura souriant d’une façon mystérieuse: —C’est bien de la poudre.. . De quoi faire sauter ma belle-mère jusqu’aux nuages! 1 Et, sans une seconde d hésitation, apwi se mit aussitôt en mesure de préparer une petite combinaison tout à fait... micmaque, sinon abénaquise. Il commença par enlever le tonnelet, qu’il logea entre deux tonnes. Cela fait, il se prit à fureter partout et revint bientôt, portant un rouleau de câble dans le pli du coude et une cordelette dans la main qui était libre. La cordelette fut arrosée d’huile de charbon, saupoudrée de quelques pincées du contenu du petit baril... et mise à portée de la main en haut de la faille, tandis qu’un de ses bouts plongeait dans le tonnelet, par la bonde. Et, pour être plus sùr de mener à bonne fin son oeuvre de destruction, Wapwi perça avec la pointe de son couteau une des tonnes, de façon à ce que le tonneau put se répandre lentement sur les madriers qui la supportaient. Alors, content de son oeuvre, le petit justicier revint à son canot, muni de sa corde en rouleau et de sa bouteille suspendue à un fil. Cette fois-ci. il s’agissait de sortir du rocher, coûte que coûte. Ce 11e fut pas sans peine. Mais, enfin, le petit aventurier réussit en pesant sur la voûte, étant couché sur le dos au fond de sa pirogue, avec ses pieds et ses mains, à sortir de là. Une fois dehors, il gagna une anse, du côté du large, attacha solidement son canot et grimpa sur les hauteurs par le premier sentier venu. Il avait sa bouteille pendue au cou et son fusil sur l’épaule. Arrivé au point culminant du cap, où un mince tuyau de tôle émergeait du sommet de la grotte servant de prison, Wapwi introduisit délicatement dans le tuyau sa bouteille, qu’il laissa filer jusqu’au poêle, en la retenant par sa ficelle. Alors il n’eut plus qu’à soulever un peu le tuyau, pour diriger la bouteille à côté de l’ouverture dégagée. Après quoi, laissant tomber le fil, il replaça le tuyau à l’endroit ordinaire. Tout cela avait été exécuté si habilement, que les deux femmes ne parurent avoir rien entendu. Du reste, l’obscurité était encore à peu près complète dans la grotte. W’apwiT couché sur le ventre, son fusil à portée, ne perdait pas de vue sa “petite mère ”, qui commençait à s’agiter. . . A un moment donné, il entendit même un sanglot étouffé, auquel répondit aussitôt une voix rauque qui commandait : —La paix, là!.... La Grande-Ourse veut dormir. Mais un nouveau sanglot avant troublé le silence, la sauvagesse surgit de son tas de feuillage et s’approcha, menaçante... Wapwi, toujours silencieux, allongea la main vers son fusil. Pourtant, la Grande-Ourse ne soufflait mot. Elle venait d’apercevoir la bouteille descendue là mystérieusement. . . Elle s’en était emparée et la mirait à la lumière matinale de l’unique fenêtre de la grotte... Reculant à petits pas jusqu’à l’angle de la ‘‘porte’’ d’entrée, la vieille gardienne, avant débouché la mystérieuse bouteille, la humait à larges narines, souriant de la bouche et des yeux. Finalement, satisfaite de ses investigations, quoique assez interloquée, l’Ourse n’y tint plus et s’introduisant le goulot dans la bouche, elle leva le culot en l’air et l’y maintint longtemps. Quand la buveuse eut abaissé la bouteille pour respirer, Wapwi s’aperçut avec stupeur que le vaisseau en question était à peu près vide. —Oach! fit-il: il faut avoir l’oeil ouvert.... L’Ourse a son compte! Débarrassant les alentours du tuyau des branches vertes qui y étaient accumulées, le petit Abénaki constata avec une joie vive que l’ouverture quadrangulaire résultant de la jonction imparfaite des pièces du rocher était suffisante pour laisser passer un corps humain. Dans le temps de le dire, il fit un gros oeil au bout de sa corde et. après avoir tiré doucement à lui le tuyau, laissa pendre celle-ci dans l’ouverture, au moment même où ht Grande- ( )urse s’écroulait sur son tas de feuillage. - ite ! petite mère, dit-il anxieusement, quoique à voix contenue, mets tes pieds dans la boucle et tes mains sur la corde: Wapwi va te hisser. Suzanne, bien que surprise à l’extrême en entendant cette voix connue, ne fut pas lente à s’exécuter et se sentit partir de terre, monter, puis se v it dehors, sans avoir eu seulement le temps de prononcer une parole.

apwi, toujours méthodique et calme, remit

en place tuyau et branches. Puis, prenant sa protégée sou* un bras, il la guida rapiedment vers le littoral, par le chemin que lui-même avait choisi. Alors, seulement, pendant que Suzanne lui >autait au cou et le serrait dans ses bras comme un fils, i! sourit, disant:, —Ah! petite mère, comme Wapwi est content ! —Cher enfant, “mon fils"! dit Suzanne, je te dois la vie, comme mon mari te la doit aussi. .. Tu ne nous quitteras plus jamais.. . Mais comment as-tu pu faire?... —Je te conterai ça. . . En attendant, cachons-nous. Et il conduisit la jeune fentme à travers la saulaie, jusqu’à un rocher de la rive, qu’il contourna pour le gravir par derrière, grâce à un plan incliné que lui seul attrait pu découvrir. De cet observatoire, éloigné d’une dizaine d’arpents du cap, l’oeil pouvait embrasser l’horizon circulaire, moins un tout petit espace masqué par le “Refugium.” Il était grand jour et tout, dans la nature environnante. respirait le calme vibrant d’une atmosphère zébrée de rayons de soleil. Wapwi, rayonnant lui aussi, mais non disposé au repos, se mit en frais de construire une sorte d’abri avec des branches fichées dans les fissures du roc, sans pourtant laisser prendre à son travail la physionomie d’une “cabane.” Tout de même, après une petite heure d’agissements multiples, Suzanne se trouva avoir une voûte de feuillage au-dessus de la tête et un bon lit de fougère sous les hanches. Mieux encore, elle avait devant elle du jambon, du fromage, du pain et même. .. une bouteille d’eau fraiche. Tout cela tiré du canot de Wapwi. Ce fut un moment de réel bonheur. Une fois Suzanne bien restaurée et mise au fait des agissements de son mari, qui ne devait pas tarder à rallier la Mécatina, après sa pointe vers Anticosti, elle fit remarquer à son jeune protecteur : —Mon petit Wapwi, jusqu’à présent tu as manoeuvré comme un vrai sorcier. . . Mais si le “Marsouin” allait revenir!... —Oh ! pas avant la nuit prochaine.... Les marsouins de l’air ne voyagent pas le jour. —Mais... une fois la nuit revenue.... ? —Petite mère, dors tranquille. D’ici là, Wapwi va veiller, lui. —Et. . . quand le soleil aura plongé derrière les montagnes, nous laissant tout seuls, dans l’obscurité? Le petit Abénaki, les yeux mi-clos et un étrange sourire aux lèvres, murmura tout bas: —Le méchant oiseau de proie se faufilera vers la grande chauve-souris, pour voir si la colombe blanche est toujours dans le rocher. ... Mais le rocher frémira et fera: pouf! pouf! Et Wapwi aura du plaisir. Suzanne regardait, un peu ahurie, son petit compagnon, qui, du reste, poursuivit, sans s’expliquer davantage : Montréal, 3 novembre 1906 —Et la goélette du capitaine arrivera , ses grandes voiles ouvertes... Et petite tC mise à bord pour retourner chez nous (Ja^ ,e baie. ’ (lans la -“f!m.en"!.ch’r el’.fail‘. <l>t la jeune femne D ici lu, je vais dormir sous ta garde —C’est ça, petite mère. Wapwi veillera. CHAPITRE XIV LE DERNIER CONCILIABULE DE GAS-PARD ET DE LA GRANDE-OURSE La journée s’écoula sans accidents ni mci dents, si ce n’est toutefois la musique im’emalè que lit la Grande-Ourse, lorsqu’elle ,rnt dt son sommeil bachique et constata le d p ut de celle qu’elle était chargée de garder. Les vociférations d’une troupe ue bandits ivres, aux prises avec une escouade de utrabiniers, ne sont que cantiques, comparées aux hurlements de la Grande-Ourse, après n rc. veil, en s’apercevant à la fois de la fuite de sa prisonnière et.. . du liquide de sa bouteille. Elle vociféra une partie de la journée, heurtant du poing les parois de la grotte, la porte d’entrée sur le flanc du canal, la grande pierre ovale tournant sur une tige de fer, qui servait d’ouverture au "magasin” des contrebandiers, bref bondissant jusqu’à l’ouverture par où le tuyau traversait la voûte.. Mais tout cela en pure perte. Les issues étaient bloquées ou inabordables. 11 fallut bien, de guerre lasse et d’épuisement, se laisser choir sur les feuilles de son grabat, boire. ... de 1 eau et se rendormir, si possible. Voilà, pourquoi, sans doute, vers neuf heures du soir, ati montent où la grisaille de l’atmosphère se confondait avec celle du fleuve, Wapwi put constater que tout était silence et paix, dans l’obscurité du “Refugium l’eccatorttm. ” Au reste, il ne s’arrêta pas longtemps a observer cette partie du Mécatina. Après un examen de quelques miuutes des fentes du rocher, il se baissa au-dessus d’une anfractuosité et y laissa descendre un fanal allumé, attaché à une ficelle. Un bout de mèche grisâtre et ronde gisait là, semblant venir du fond de la faille. On se rappelle que Wapwi, pendant son excursion dans le magasin, avait lui-même allongé cette mèche jusqu’à cet endroit. On sait aussi que l’autre extrémité de la mèche plongeait dans un baril de poudre, entre deux tonnes, à quelques pieds de là. Cela étant constaté, Wapwi puisa à larges brassées dans un tas de feuilles sèches ci de brindilles, qu’il avait eu le soin d’apporter, et laissa tomber méthodiquement tout ce combustible dans la faille où gisait la mèche Puis, se redressant, il jeta un coup d’oeil sur la mer, côté nord du fleuve. Il avait eu la précaution de souffler son fanal Et bien lui en avait pris, certes... Car un bruit de rames, jouant entre le* tolets, lui fit voir une petite embarcation, venant du nord et embouquant le canal rocheux qui aboutissait aux grottes. Cinq minutes plus tard, la vieille voile servant de trompe-l’oeil était manoeuvrée fébrilement, des pas prudents résonnaient sur une corniche de pierre et la porte d’entrée du "Refugium ” s’ouvrait de dehors en dedans, grâce a une clé que possédait le visiteur. Wapwi venait de reconnaître Gaspard Labarou, son ennemi “intime”, qui, d’ailleurs, criait à la Grande-Ourse : —Hé! la mère Ourse, où êtes-vous?... (^n n’y voit rien. La vieille sauvagesse répondit quelque chose, que son beau-fils, n’entendit pas, car 1 était certes trop occupé à une besogne sérieuse. .. 11 frictionnait une allumette sur la pierre et enflammait le menu combustible accuniu e dans la faille où gisait la mèche que 1 on sait . Puis, cela fait, il détalait silencieusement, mais avec rapidité, faisant retraite vers ?on nouveau logis. (A auivre) 16