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Pour le coup, Gaspard demeura émerveillé de l’ingéniosité de son compère ; et, ne trouvant pas de mot assez éloquent pour traduire son admiration, il abattit sa lourde main sur l’épaule de Thomas et, le secouant, lui déclara en toute franchise :

— Ami Thomas, tu es cent fois plus canaille que moi !… Nom de mille phoques, tu iras loin, si tu n’es pas pendu bientôt à la corne d’artimon de ta goélette.

Ce compliment, bien que mitigé par la perspective d’un gibet de marin, ne déplut pas au capitaine du « Marsouin. »

— Allons donc… allons donc… fredonna-t-il avec modestie, tu exagères mon faible mérite : je n’ai pas la prétention de quitter la vie dans une position aussi élevée.

— Ça t’arrivera pourtant, et tu ne l’auras pas volée !

— J’espère, le cas échéant, que tu me tiendras compagnie : ça fera deux jolis pavillons…

— En berne… conclut Gaspard.

Et, sur ce mot, il se dirigea vers l’écoutille d’arrière, descendit l’escalier conduisant aux cabines et revint bientôt avec les deux longues-vues du bord.

Le « Marsouin » passait en ce moment en face de la baie de Kécarpoui, — mais à une quinzaine de milles au large.

Il était onze heures de la nuit.

Grâce aux lunettes, on pouvait distinguer, sur les deux rives, les maisons illuminées des familles Noël et Labarou, tandis qu’en pleine baie le « Vengeur » brillait comme une constellation.

Gaspard, la lunette à l’œil, frissonnait de colère, et tant que l’ouverture de la baie fut en vue, il demeura immobile, observant ce coin de la côte labradorienne où il venait de subir un échec si imprévu.

Enfin, les arbres du bras oriental, comme s’ils eussent été mis en mouvement par un machiniste de théâtre, vinrent masquer brusquement le spectacle observé et Gaspard, fermant violemment sa lunette, s’accouda sur le bastingage, regardant sans la voir l’eau qui frôlait en clapotant le flanc du « Marsouin. »

Pendant un bon quart d’heure, il demeura ainsi appuyé au plat-bord, le menton dans ses poings, broyant du noir.