Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/331

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près des autres pour les éclairer dans leur travail ; et à l’aide de cette lueur douteuse on en entrevoyait quelques-uns dans l’ombre qui arrachaient des pavés sur le chemin, pendant que d’autres tenaient tout droits de grands poteaux ou les fixaient dans des trous préparés d’avance pour les recevoir. D’autres amenaient lentement à leurs camarades une charrette vide, qui grondait derrière eux en sortant de la prison ; pendant que d’autres, enfin, dressaient de longues barricades en travers de la rue. Ils étaient tous très-occupés à leur ouvrage. Leurs figures sombres, qui se mouvaient de droite et de gauche, à cette heure inaccoutumée, si actives et si silencieuses, auraient pu passer pour des ombres de revenants employés, à l’heure de minuit, à quelque ouvrage fantastique, qui s’évanouirait comme elles au chant du coq, au premier rayon du jour, ne laissant plus à leur place que le brouillard et les vapeurs du matin.

Tant qu’il fit encore noir, il s’amassa sur la place un petit nombre de curieux, qui étaient venus tout exprès avec l’intention d’y rester. Ceux même qui ne traversaient la place qu’en passant pour aller ailleurs, s’arrêtaient là quelque temps comme par un attrait irrésistible. Cependant le bruit de la scie et du maillet allait son train gaillardement, mêlé au fracas des planches qu’on jetait sur le pavé de la chaussée, et de temps en temps aux voix des ouvriers qui s’appelaient les uns les autres. Toutes les fois qu’on entendait le carillon de l’église voisine, et c’était à chaque quart d’heure, une étrange sensation, instantanée et inexprimable, mais bien visible, courait comme un frisson sur le corps de tous les assistants.

Petit à petit on vit apparaître à l’orient une faible lueur, et l’air, qui était resté chaud toute la nuit, devint froid et glacé. Ce n’était pas encore le jour, mais l’obscurité diminuait, et les étoiles pâlissaient. La prison, qui n’avait été jusque-là qu’une masse noire sans figure et sans forme, prit son aspect accoutumé, et de temps à autre on put voir sur son toit un veilleur solitaire s’arrêter pour regarder de là les préparatifs qu’on faisait dans la rue. Comme cet homme faisait, en quelque sorte, partie de la prison même, et qu’il savait, ou du moins on pouvait le supposer, tout ce qui s’y passait, il devenait par cela même l’objet d’un intérêt parti-