Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/126

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C’est par un beau jour d’été que mistress Rouncewell a terminé tous ses préparatifs ; le soleil va bientôt se coucher et fait flamboyer toutes les fenêtres ; il dore la pierre grise qui les enchâsse, et l’ombre des feuilles en jouant sur les portraits des vieux Dedlock prête à leurs visages de singuliers mouvements ; elle fait cligner les paupières d’un épais magistrat, met une fossette au menton d’un général, et s’écarte pour laisser tomber sur la poitrine d’une bergère une vive étincelle qui aurait bien fait d’en réchauffer le marbre il y a quelque cent ans.

Mais le soleil éteint ses rayons ; le jour s’en va ; l’ombre, qui couvre les fleurs du tapis, gagne peu à peu la muraille, et, comme le temps et la mort, fait retomber les aïeux dans l’oubli ; elle s’arrête un instant devant le portrait de milady, qui paraît trembler et pâlir sous le voile dont elle le couvre ; elle s’épaissit, monte encore ; un dernier point rouge se voit au plafond, il passe, et tout s’efface.

Cet horizon si beau et si rapproché, à le voir de la terrasse, s’est éloigné lentement, et n’est plus qu’un souvenir, ainsi que tant de belles choses qu’ici-bas on croit pouvoir atteindre. Un léger brouillard s’élève et retombe en gouttes de rosée ; les fleurs versent tous leurs parfums, dont s’imprègne l’air humide ; et les bois ne forment plus qu’une masse noire et profonde, que traversent bientôt quelques raies lumineuses, glissant derrière le tronc des arbres comme entre les piliers d’une cathédrale immense.

La lune a dépassé les grands chênes ; et le manoir inhabité, plus imposant et plus triste sous les pâles rayons qui l’éclairent, fait songer à tous ceux qui ont dormi dans ces chambres désertes et qu’il a vus mourir. C’est l’heure où tous les angles se transforment en cavernes, où l’ombre d’une marche semble un gouffre béant, où l’on croit voir les vieilles armures tressaillir, et des yeux briller sous la visière des casques ; mais de toutes les ombres que la nuit a répandues sur Chesney-Wold, celle que projettent sur le portrait de milady les branches inflexibles d’un vieux chêne, pareilles à des mains menaçantes levées contre ce beau visage, est la dernière que le jour fera disparaître.

« Non, madame, elle ne va pas très-bien, répond un domestique à mistress Rouncewell.

— Milady est malade ?

— Elle a toujours été souffrante depuis la dernière fois qu’elle est venue au château comme un oiseau de passage, et n’est presque pas sortie de sa chambre depuis son retour à Londres.