Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/139

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à ébranler la confiance que vous inspirez à sir Dedlock ; j’hésite encore aujourd’hui, non pas qu’il puisse douter, la chose est impossible, mais parce que rien ne peut le préparer à recevoir ce coup terrible.

— Pas même ma fuite ?

— Ce serait perdre l’honneur de la famille, lady Dedlock ; il n’y faut pas songer. »

La fermeté qu’il met dans cette réponse n’admet pas d’objection.

« Quand je parle de votre mari, poursuit-il, je pense aussi à la famille ; la baronnie et Chesney-Wold, les ancêtres et le patrimoine, sont inséparables de sir Leicester, je n’ai pas besoin de vous le dire, milady.

— Continuez, monsieur.

— Il faut donc que le secret ne s’ébruite pas ; comment faire si, en l’apprenant, sir Dedlock est frappé de mort ou devient fou ? Comment expliquer le changement qui surviendrait dans sa conduite, si, par exemple, je lui disais demain matin quelle était la femme dont je lui parlais hier ? c’est alors que l’histoire s’afficherait sur les murs et se crierait dans les rues, milady ; et ce n’est pas vous seule qui en seriez atteinte, vous que je ne considère nullement dans tout cela, mais votre mari, lady Dedlock, votre mari !

« Autre chose encore, poursuit M. Tulkinghorn sans que rien dans sa voix ou ses gestes trahisse la moindre animation : sir Leicester vous est dévoué jusqu’à l’extravagance ; il peut, même en sachant tout, ne pas être capable de vaincre l’engouement qu’il a pour vous ; je pousse les choses à l’extrême ; mais enfin c’est possible ; dans ce cas-là, mieux vaut son ignorance, et pour moi, et pour le sens commun. Tout ceci demande à être pris en considération, et voilà ce qui rend très-difficile de former un plan quelconque. »

Milady regarde toujours les étoiles qui commencent à pâlir, et dont la froide lumière semble l’avoir pétrifiée.

« L’expérience m’a toujours démontré, continue M. Tulkinghorn en mettant ses gants dans sa poche, que la plupart des gens auraient beaucoup mieux fait de rester célibataires ; le mariage est au fond des trois quarts de leurs tourments. Je le pensais déjà quand sir Dedlock s’est marié, et je le pense encore aujourd’hui ; mais revenons à notre affaire : les circonstances décideront de ma conduite ; quant à vous, milady, je vous prierai d’agir comme vous l’avez toujours fait, et je m’en rapporte à vos propres inspirations.