Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/185

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Allan affirme qu’il n’y a rien à craindre à cet égard.

« C’est que, voyez-vous, reprend M. Georges, nous en avons eu déjà assez comme ça. »

M. Woodcourt partage les regrets du maître d’armes, et, tout en lui assurant de nouveau qu’il n’y a rien de contagieux dans l’affection dont il s’agit, il croit néanmoins devoir lui dire qu’elle est d’une extrême gravité.

« Pensez-vous qu’il puisse en mourir ?

— J’en ai peur, répond M. Woodcourt.

— Raison de plus pour ne pas le laisser dehors ; va le chercher, Phil, et amène-le ici. »

Le petit homme exécute immédiatement l’ordre du maître d’armes, et Jo entre dans la galerie ; pauvre Jo ! il ne vient pas de Tockahoupo ni de Barrioboula-Gha ; ce n’est pas l’un des Indiens favoris de mistress Pardiggle, ou des agneaux de mistress Jellyby ; ce n’est point un sauvage exotique dont les traits sont adoucis par la distance, et qui intéresse par son cachet étranger ; c’est tout simplement un article de fabrique anglaise, affreux et sale, révoltant à la fois tous les sens, informe de corps, païen dans l’âme, tout chrétien qu’il est de naissance ; un être vulgaire qu’on rencontre dans la rue voisine, couvert de la fange natale, dévoré par des poux indigènes ; ses haillons, la crasse qui le défigure, les ulcères qui le rongent, sont des produits anglais ; cette ignorance, qui l’a fait tomber au-dessous de la brute, a germé et grandi sur le sol britannique, et voilà ce qui fait, pauvre Jo, que tu n’intéresses personne !

Il entre lentement dans la salle, et, ramassé sur lui-même, il regarde autour de lui sans oser lever les yeux ; il sent qu’il inspire un dégoût involontaire, et s’éloigne instinctivement des autres ; qu’a-t-il de commun avec eux ? il n’est ni homme, ni bête : où le classer ? Il n’y a point de catégorie pour lui dans toute la création.

« Jo, lui dit M. Woodcourt, regardez M. Georges, un bon ami pour vous, qui veut bien vous loger. »

Il promène son regard sur le plancher, lève les yeux qu’il baisse immédiatement, et fait un geste de la main, qui est probablement sa manière de saluer ; enfin, après avoir changé plusieurs fois le pied sur lequel il se pose : « Ben obligé, dit-il entre ses dents.

— Vous n’avez rien à craindre ; il ne vous reste plus qu’une chose à faire ; c’est d’être obéissant et de reprendre des forces ; ne manquez pas surtout de bien dire la vérité quand on vous questionnera.