Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/223

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Caroline ayant fini par aller de mieux en mieux, je restai moins longtemps auprès d’elle ; et c’est alors que je crus m’apercevoir d’un certain changement dans les manières d’Éva ; je ne pourrais pas dire que rien de particulier eût appelé mon attention de ce côté, mais il me sembla qu’elle était moins gaie, moins franche qu’à l’ordinaire ; son amitié pour moi était toujours la même, et cependant elle manquait d’abandon, et je ne sais quel regret ou quel chagrin semblait caché sous sa tendresse. Je cherchai longtemps quelle pouvait en être la cause ; et persuadée que la crainte de m’affliger était le seul motif de son silence, je m’imaginai qu’elle regrettait pour moi… ce que je lui avais dit au sujet de mon avenir.

Je ne sais pas comment cette idée put s’emparer de mon esprit ; toujours est-il que, pour rassurer ma pauvre amie et lui prouver que ses regrets n’étaient nullement fondés, je redoublai d’activité dans mes fonctions de ménagère ; babillant sans cesse et chantant tout ce que je savais de chansons ; toutefois, sans parvenir à dissiper ce nuage.

« Ainsi, petite femme, me dit un soir mon tuteur en fermant son livre, ainsi M. Woodcourt a rendu la santé à Caroline ?

— Oui, répondis-je ; et si vous saviez comme elle lui en est reconnaissante !

— Je voudrais bien qu’il fût riche, poursuivit mon tuteur.

— Moi aussi, répliquai-je.

— Il aurait bientôt la fortune d’un vieux juif, si nous savions comment faire pour la lui procurer ; n’est-ce pas, petite femme ? »

Je me mis à rire en travaillant de plus belle ; et je répondis que, pour ma part, je pourrais bien ne pas m’en mêler ; que j’aurais peur de le gâter par tant de richesses, de le détourner de sa profession, et que bien des gens y perdraient.

« Je ne pensais pas à cela, dit mon tuteur ; mais nous nous entendrions pour lui donner une fortune qui assurât son repos et lui permît de travailler sans préoccupation ; d’avoir un chez lui, ses dieux lares ou tout au moins sa déesse du foyer.

— C’est différent, tuteur ; et je suis tout à fait de votre avis.

— J’en suis convaincu ; j’ai pour M. Woodcourt infiniment d’estime, et j’ai sondé ses intentions ; il est extrêmement difficile d’offrir ses services à un homme indépendant et fier, qui a le sentiment de sa valeur ; et cependant je serais heureux de l’aider en quelque chose, si c’était en mon pouvoir. Il ne semble pas éloigné de s’embarquer une seconde fois, mais c’est vraiment dommage de laisser partir un homme tel que lui.