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— Quand vous aurez lu cette lettre, milady, vous le plaindrez davantage d’être accusé faussement. »

La vieille gouvernante laisse sa maîtresse tenant la lettre à la main. Ce que c’est ! comme on change ! Lady Dedlock n’était pas insensible par nature ; il fut une époque où la vue de cette vieille mère implorant son appui avec tant d’ardeur lui eût inspiré une compassion profonde ; mais elle est accoutumée depuis si longtemps à réprimer toute émotion, à mépriser toute chose ; elle a vécu tant d’années à cette école destructive qui enferme le cœur sous une enveloppe de glace, comme ces insectes que l’on trouve au milieu d’un morceau d’ambre, qu’elle a su dissimuler même jusqu’alors la surprise qu’elle éprouve de cette étrange communication.

Elle ouvre la lettre ; c’est le récit imprimé du meurtre de M. Tulkinghorn, de la découverte du cadavre, et de toutes les circonstances qui s’y rattachent ; le nom de Sa Seigneurie est au bas, suivi du mot « Assassin. »

Le papier lui échappe ; elle ne sait même pas depuis combien de temps il est par terre, lorsque Mercure lui annonce le jeune homme appelé Guppy ; probablement on le lui a répété plusieurs fois, car les sons vibrent longtemps à son oreille avant de frapper son esprit.

« Qu’il entre, » dit-elle enfin.

Elle ramasse la lettre et cherche à recueillir ses pensées ; aux yeux du jeune homme qui arrive, c’est toujours la même femme à l’accueil hautain et glacial :

« Votre Seigneurie, dit-il, ne sera peut-être pas disposée tout d’abord à excuser la visite d’une personne qu’elle n’a jamais reçue avec plaisir, et je ne m’en plains pas, car je dois avouer qu’il n’y avait pas de raison pour qu’il en fût autrement ; mais j’espère qu’après avoir entendu le motif qui m’amène, Votre Seigneurie voudra bien m’excuser.

— Et quel est ce motif ?

— Il faut premièrement, dit le jeune homme en s’asseyant sur le bord d’une chaise et en posant son chapeau à ses pieds, il faut que j’explique à Votre Seigneurie que miss Summerson, dont l’image fut autrefois gravée dans mon cœur, d’où l’effacèrent des circonstances indépendantes de ma volonté, vint me trouver depuis la dernière visite que j’ai faite à Votre Seigneurie, et m’exprima le désir de me voir renoncer à poursuivre toute affaire où il serait question d’elle ; en conséquence, les désirs de miss Summerson étant sacrés pour moi, je ne pensais plus avoir l’honneur de me présenter chez Votre Seigneurie.