Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/322

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M. Woodcourt détacha de moi la pauvre fille ; M. Bucket me couvrit de son manteau, et l’instant d’après nous étions dans la rue. M. Woodcourt hésitait à nous suivre :

« Ne me quittez pas, » lui dis-je.

M. Bucket ajouta :

« Il vaut mieux que vous veniez avec nous ; vous pouvez nous être fort utile ; mais ne perdons pas une minute. »

Cette course ne m’a laissé que des impressions confuses ; je me rappelle que nous marchions à la lueur d’une clarté douteuse ; le jour commençait à poindre, mais le gaz brûlait encore ; le grésil continuait de tomber et couvrait les rues d’une couche épaisse ; je vois toujours les quelques individus transis qui passèrent auprès de nous ; je me rappelle les toits humides, les gouttières engorgées et débordant tout à coup ; les tas de neige et de glace noircies que nous fûmes obligés de franchir, et les cours étroites par lesquelles nous passions. Mais je me rappelle qu’en même temps je croyais toujours entendre le récit de la pauvre fille ; je la sentais encore appuyée sur mon bras ; les maisons ruisselantes prenaient une face humaine pour me regarder fixement ; de vastes écluses semblaient s’ouvrir et se fermer dans ma tête ; et cette vision était plus sensible à mes yeux que la réalité même.

Nous nous arrêtâmes enfin sous une voûte sombre et d’un aspect misérable, où une lampe brûlait au-dessus d’une grille ; derrière cette grille était le cimetière, un lieu horrible d’où la nuit se retirait avec lenteur, et où j’entrevis un amas confus de pierres et de fosses déshonorées, entourées d’ignobles maisons laissant apercevoir aux fenêtres quelques chandelles fumeuses ; d’abominables bouges dont les murailles étaient couvertes d’une humidité épaisse qui suintait comme d’un ulcère fétide. Sur la marche où s’ouvrait la grille, plongée dans l’effroyable fange de ce terrain immonde, gisait une femme, Jenny, la mère de ce pauvre petit enfant.

Je jetai un cri d’horreur et m’élançai vers elle ; M. Woodcourt m’arrêta, me suppliant avec des larmes d’écouter M. Bucket avant d’approcher de cette malheureuse.

« Miss Summerson, comprenez-moi bien, disait M. Bucket. Elles ont échangé leurs vêtements au cottage.

— Leurs vêtements ! répétai-je sans qu’aucune de ces paroles dont je ne comprenais que le sens littéral, éveillât aucune autre pensée dans mon esprit.

— Et l’une est revenue à Londres, poursuivit M. Bucket, pendant que l’autre se dirigeait vers le nord afin de déjouer les