Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/340

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Passons maintenant à une partie de ce récit qui me touche de très-près, et à laquelle j’étais bien loin d’être préparée. Quels que soient les souvenirs qui de temps à autre se réveillaient dans mon esprit, associés à feu mon visage, ils ne se ranimaient que comme l’image d’un passé qui ne devait plus revenir. Je n’ai pas caché mes nombreuses faiblesses à cet égard, et je les ai écrites aussi fidèlement que ma mémoire me les a retracées ; j’espère continuer ainsi jusqu’à la fin de ces pages dont la dernière est prochaine.

Les mois s’écoulaient, et ma chère fille, soutenue par l’espérance, brillait toujours du même éclat dans son misérable coin. Richard, plus inquiet et plus hâve de jour en jour, continuait de hanter la chancellerie ; il y passait des journées entières, alors même qu’il savait bien n’avoir aucune chance d’entendre appeler sa cause, et devenait à son tour l’un des piliers du palais. Je me demande si, parmi les gentlemen de la cour, il y en avait un seul qui se souvînt alors de ce qu’il était la première fois qu’il avait mis le pied à l’audience.

M. Woodcourt était la seule personne qui parvînt à le distraire de son idée fixe et à le tirer de cet engourdissement de corps et d’esprit qui nous donnait tant d’inquiétude, parce qu’il s’aggravait tous les jours. Ma chère fille avait raison de dire que, s’il poursuivait cette affaire avec tant de désespoir c’était surtout pour elle. Je ne doute pas que son désir de recouvrer tout ce qu’il avait perdu ne s’augmentât du chagrin qu’il en ressentait pour sa jeune femme, et que ce ne fût devenu pour lui une monomanie de joueur.

J’étais donc chez eux presque à toute heure du jour ; quand il faisait nuit, je revenais en voiture avec Charley, ou bien mon tuteur me donnait rendez-vous dans le voisinage et nous rentrions à pied.

Un soir nous étions convenus que je le rejoindrais à huit heures. Je travaillais pour Éva, j’avais encore quelques points à faire pour terminer ce que j’avais entrepris, et l’heure était sonnée depuis quelques minutes quand je fermai mon panier à ouvrage et qu’après avoir embrassé ma chère fille, je me précipitai au bas de l’escalier ; comme il faisait nuit, M. Woodcourt m’accompagna.

Mon tuteur ne se trouvait pas au lieu du rendez-vous ; nous l’attendîmes à peu près une demi-heure en nous promenant de long en large ; il ne se montra pas davantage ; et, pensant qu’il n’avait pas pu venir, ou qu’il s’était lassé d’attendre, M. Woodcourt me proposa de me reconduire à la maison.