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j’ l’aurions été quat’, si j’avions eu de l’argent. J’ai-t-y été à l’église ? Non, j’ n’y mettons pas les pieds ; c’est pas là qu’on m’verra ; le bedeau est un mon-sieur trop dis-tin-gué pour moi ; et comment que ma femme a attrapé sa tape à l’œil ? C’est moi qui l’y ai fichue, et si alle vous dit qu’non, all’ en aura menti. »

Et reprenant sa pipe, qu’il avait quittée pour nous faire ce discours, il nous tourna le dos et se remit à fumer.

Mistress Pardiggle, qui, tout le temps, l’avait regardé à travers ses lunettes d’une façon provocante, tira de sa poche un livre, et, s’en servant comme d’un bâton de constable, fit main basse sur toute la famille, condamnée en bloc, de par elle, à entendre la lecture qu’elle s’apprêtait à faire.

Nous étions fort mal à notre aise, Éva et moi, nous sentant déplacées aussi bien qu’importunes, et supposant que mistress Pardiggle serait arrivée plus sûrement à son but en agissant d’une tout autre manière. Ses enfants, l’œil fixe et l’air maussade, regardaient tout sans rien voir ; et, dans la famille du briquetier, personne ne s’occupait plus de nous, à l’exception du fils aîné, qui ne manquait pas de faire aboyer son chien toutes les fois que mistress Pardiggle déployait le plus d’emphase. Une barrière infranchissable nous séparait de ces malheureux. Pouvait-elle s’abaisser ? Nous n’aurions pas su le dire ; mais assurément notre nouvelle connaissance n’était pas destinée à opérer ce miracle. Sa lecture, aussi bien que ses paroles, nous sembla mal choisie pour de tels auditeurs, et n’aurait produit aucun bon résultat, même alors qu’elle eût été faite avec douceur et en s’y prenant mieux. Quant au petit livre auquel le briquetier avait fait allusion, nous en apprîmes le titre, et mon tuteur nous dit que Robinson Crusoé ne l’aurait même pas lu au fond de son île déserte.

Enfin mistress Pardiggle termina sa lecture, et ce fut pour nous un véritable soulagement.

« Vous avez donc fini ? demanda le briquetier d’un ton bourru en se retournant vers elle.

— Pour aujourd’hui, mon ami, répliqua mistress Pardiggle ; mais vous savez que je ne me fatigue jamais, et vous aurez ma visite quand votre tour reviendra.

— C’est bon ! Filez d’abord, et, quand vous s’rez ailleurs, faites tout c’ qui vous plaira, » répondit l’homme en croisant les bras et en accompagnant ces paroles d’un juron énergique.

Mistress Pardiggle se leva, formant un tourbillon qui faillit entraîner la pipe de l’ouvrier, prit deux de ses enfants par la main, appela les autres, exprima l’espoir qu’à sa prochaine visite elle