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une rente à son profit au cas où il me survivrait ; c’est un vrai phénomène pour l’intelligence et l’affection ; d’ailleurs son père avait été, avant lui, l’un des oiseaux les plus surprenants qui aient jamais vécu. »

Le sujet de cet éloge était un petit serin, si bien apprivoisé, que le domestique de M. Boythorn l’ayant apporté sur son doigt, il vint se poser sur la tête de son maître, après avoir fait le tour de la pièce en voltigeant. Rien ne me sembla mieux peindre le caractère de M. Boythorn que de lui entendre exprimer les sentiments les plus implacables avec cette petite créature si fragile, perchée tranquillement sur son front.

«  Sur mon âme, disait-il en tendant avec délicatesse une miette de pain au canari, si j’étais à ta place, Jarndyce, demain matin je saisirais à la gorge tous les maîtres de la chancellerie et je vous les secouerais jusqu’à ce que leur argent eût roulé hors de leur poche, et qu’on entendît sous leur peau les os claquer comme des castagnettes. Je voudrais obtenir un jugement de n’importe qui, par voie légale ou non ; et, si tu veux me donner tes pleins pouvoirs, je me charge de cette affaire avec une extrême satisfaction. »

Le petit canari, sans paraître inquiet de la violence de ces paroles, mangeait toujours ce que lui donnait son maître.

«  Je te remercie, Lawrence, répondit M. Jarndyce en riant ; mais le procès n’en est pas arrivé à ce point qu’on puisse en avancer la conclusion par le moyen que tu m’indiques, alors même qu’on prendrait à la gorge toute la magistrature et le barreau tout entier.

— Il n’y a jamais eu ici-bas un chaudron de sorcière comparable à cette affreuse chancellerie, continua M. Boythorn ; je ne vois pas d’autre réforme à tenter à son égard, que de miner cette infernale boutique et de faire tout sauter un beau jour, paperasses et fonctionnaires de haut et bas degré, depuis le diable, qui engendra cette pétaudière, jusqu’au trésorier général qu’elle engendra à son tour. »

Il était impossible de ne pas rire du sérieux énergique avec lequel il recommandait cette mesure efficace ; et, partageant bientôt l’hilarité qu’il avait fait naître, M. Boythorn éclata de rire à son tour ; la vallée tout entière sembla lui faire écho, sans que cette gaieté, ni cette parole bruyante inquiétât le canari, qui sautillait tranquillement sur la table, lançant la tête à droite, à gauche, et tournant tout à coup son œil brillant vers son maître, comme s’il n’avait vu dans M. Boythorn qu’un oiseau comme lui.